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Le Monde du Sud// Elsie news

Le Monde du Sud// Elsie news

Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Stopper la dérive. Par Patrick Elie

Publié par siel sur 1 Décembre 2011, 11:44am

Catégories : #P. ELIE chronique


        Le sérieux différent qui oppose aujourd'hui le Parlement à l'Exécutif présidentiel, n'est pas une querelle de chapelle, et les réactions parfois maladroites de nos législateurs, ne procèdent pas d'un simple réflexe corporatiste.

        Ce qui est en jeu dans le débat en cours ce n'est pas la personne d'Arnel Bélizaire, le viol de ses droits de citoyen et de son immunité parlementaire, ni même l'honneur ou les prérogatives du Parlement, mais plutôt l'avenir de notre société qui a clairement fait le choix de la démocratie et de l'État de droit et dont les conquêtes sont aujourd'hui menacées par un projet de restauration de l'autoritarisme et du présidentialisme.

       De l'expédition Leclerc, au retour de Juan Peron, en passant par celui de Napoléon débarquant de l'île d'Elbe, les restaurations ont toujours échoué à court ou moyen terme, mais dans leurs échecs elles  ont coûté très cher aux nations qui les ont subies.

        L'autoritarisme ne se décrète pas, il s'installe plutôt de manière insidieuse,  de dérive en dérive, de fautes en forfaitures. La sagesse commande de le stopper tôt dans sa genèse, avant qu'il ait acquis un tel momentum, qu'il faille recourir à la révolte  pour l'arrêter.

        Sans vouloir se lancer dans des comparaisons hasardeuses, il est utile de rappeler à notre si jeune population que la dictature de François Duvalier n'a pas commencé autrement que par des mesures arbitraires contre les opposants politiques, la presse et le Parlement.  Dans un premier temps, ces attaques n'ont pas été officiellement revendiquées par le pouvoir: la destruction des presses et des locaux du journal “La Phalange”, l'enlèvement de la journaliste Yvone Hakim Rimpel, et les premières disparitions ont d'abord été le fait des “cagoulards”, paramilitaires masqués non-assumés par l'Exécutif. Ont suivi: l'assassinat des frères Jumelle, le kidnapping du cadavre de l'ex-candidat Clément Jumelle, l'arrestation et la disparition du député Séraphin, l'exil forcé du sénateur Désulmé, les massacres de Jérémie, les purges sanglantes au sein de l'Armée et tant d'autres forfaits qu'il est inutile de résumer ici, mais qui ont, brin après brin, tressé la corde d'un régime totalitaire qui étrangle encore notre malheureux pays.

        La dictature d'alors n'a pas simplement attaqué les institutions, son incrustation progressive a peu à peu frappé, vassalisé et conduit à l'anomie la société haïtienne tout entière, la stoppant net dans sa difficile évolution vers la démocratie et le progrès.  Aucune des forces vives de la nation n'a été épargnée.

La paysannerie

       Déjà malmenée depuis l'Indépendance par des élites qui ne la considéraient que comme des serfs taillables et corvéables, réprimée depuis l'occupation américaine par la Garde d'Haïti et les Chefs de Section, elle s'est vue imposer le nouveau fardeau de la milice duvaliériste. Exploitée par les grands dons et les petits chefs, réquisitionnée de force pour les grand'messes du 22 mai, elle a peu à peu investi la capitale et les métropoles provinciales, avec les conséquences que nous subissons aujourd'hui.

Les ouvriers

    Les syndicats et autres organisations ouvrières ont également été la cible du totalitarisme, leurs dirigeants éliminés, embastillés ou forcés à l'exil. Ces pilliers de la démocratie moderne n'ont plus eu que le choix de jurer allégeance au Chef Suprême ou de brutalement disparaître.

 

La classe moyenne

    Bien qu'il se fut engagé à prendre le pouvoir en son nom, la classe moyenne, a été une des principales victimes de Duvalier. Professeurs, techniciens, intellectuels, penseurs ont été systématiquement traqués, éliminés ou pour la plupart portés à s'exiler par un régime qui avait déclaré la guerre à l'intelligence et au bon sens. Il faudrait rappeler à notre communauté si prompte à l'amnésie, le sort de Jean-Jacques Dessalines Ambroise, Lucette Lafontant, Jacques Stephen Alexis et tant et tant d'autres... Jamais jusque là, dans notre histoire pourtant tumulteuse, notre pays n'avait connu une saignée aussi brutale de ses ressources humaines patiemment formées et accumulées. Du Canada au Zaïre, on célèbre encore l'indéniable apport de ces expatriés de force, à leurs sociétés d'accueil, cependant que la nôtre en est réduite à importer à grands frais des experts étrangers, dont beaucoup ont été formés par nos propres compatriotes.

La jeunesse

    Le Président Martelly se réclame de la jeunesse, encore qu'il ne soit pas moins âgé que François Duvalier lors de sa calamiteuse prise de pouvoir. Il faudrait peut-être lui enseigner tout le mal que la dictature a causé à la jeunesse d'alors et qui marque encore celle d'aujourd'hui.

    La jeunesse éstudiantine et son association la Fédération Nationale des Étudiants Haïtiens ont été décimées, réprimées et cassées dans leur volonté de changement avec l'aide d'infiltrés qui avaient noms: Roger Lafontant, Didier Cédras, Serge Conille etc... L'Université d'État d'Haïti s'est vu imposer des professeurs et étudiants sur la seule base de leur proximité au régime, avec les résultats que l'on constate aujourd'hui. La formation d'un campus universitaire a été simplement interdite, car la compartimentalisation de cette institution, par définition universelle, servait la survie du régime.

    Mais les coups de bouttoirs de la dictature contre la jeunesse ne se sont pas limités aux seuls universitaires. Les étudiants du secondaire, les associations culturelles, les troupes théâtrales, se sont rapidement fait rappeler à l'ordre puis ont été systématiquement suffoqués.

Le sous-prolétariat urbain

    Michel Martelly, comme François Duvalier et d'autres avant ou après lui, a instrumentalisé une partie de la population des bidonvilles, comme troupes de choc. Il est vrai que notre classe ouvrière est cachectique, la paysannerie dispersée, notre bourgeoisie réduite au seul commerce d'import-export.

    Ne reste comme force concentrée et mobilisable, que les habitants des bidonvilles, dont le nombre et le poids n'ont cessé d'augmenter, en particulier sous le régime des Duvalier.

   Mais, on aurait tort d'oublier que l'accession au pouvoir de François Duvalier, a été préparé par un épouvantable massacre à La Saline et au Belair et que les habitants des bidonvilles ont payé un lourd tribut à la répression et au désordre économique qui a caractérisé la dictature.

Le secteur privé entrepreneurial

    Ce secteur a retréci comme peau de chagrin, sous l'effet de la répression et de la violence mais également du rançonnement par le régime totalitaire, l'instauration de monopoles au seul bénéfice des partisans du dictateur, l'imposition de taxes arbitraires pour remplir ses coffres. La bourgoisie industrielle qui émergeait avec peine, a été particulièrement touchée. On pense notamment à l'industrie des huiles essentielles, domaine où Haïti jouissait d'une solide réputation.

Les régions et départements

    C'est le propre des dictateurs de vouloir garder la majorité d'une population et le gros de ses activités économiques, à portée de poigne et sous leurs bottes.  Ainsi, la centralisation amorcée par l'occupation américaine de 1915, a été portée à son paroxysme par François Duvalier, qui en fermant les ports de province, a asphyxié les chefs-lieux de Département et leurs zones rurales périphériques. Ainsi s'est constitué cette “République de Port-au-Prince”, devenue aujourd'hui un monstre fragile que nous peinons encore à gérer.

Dictature, ordre et sécurité

    Nombreux sont ceux qui entretiennent et propagent l'illusion que la dictature apporte au moins l'ordre et la sécurité en contrepartie des atteintes aux droits humains et libertés civiles. Rien n'est moins vrai. La dictature c'est l'ordre au centre et le grand désordre à la périphérie, c'est-à-dire dans l'ensemble du pays ou dans le monde.  Voyez Napoléon, Mussolini et Hitler.  Voyez chez nous où l'époque de la Présidence-à-Vie héréditaire a coïncidé avec le règne du “Mwen fè sa m pito”. Certes, il n'y avait pas de kidnappeurs, ni de voleurs, de spoliateurs, d'assassins et de violeurs, car l'État se réservait le monopole de ces activités. Et inexorablement, la tête pourrie du poisson a fini par contaminer tout le corps de l'animal, des filets à la queue, des privilégiés jusqu'aux laissés pour compte. Ordre au centre, désordre à la périphérie, c'est-à-dire dans nos vies de citoyens. 

    On voit donc, que le combat du Parlement vise au-delà de ses droits constitutionnels, à la préservation et au développement d'un régime démocratique choisi massivement par un peuple qui avait appris dans le sang et les larmes le caractère néfaste des systèmes autoritaires.

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