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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Ragemag.Discrimination sociale : comment l'économie de l'âme entretient-elle la pauvreté ?

Publié par siel sur 30 Décembre 2013, 14:56pm

Catégories : #CULTURE

 


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Publié le 26 décembre 2013 à 15:42 par Alain Deneault | 1

 

Débat — RAGEMAG ouvre ses colonnes aux penseurs afin qu’ils puissent apporter leur contribution aux débats culturels contemporains.

Parlons de l’économie qui procède de notre chair. La vitale, que l’autre vient seulement encoder. Pour s’en abstraire, toute en calculs monétaires, et éviter qu’on en fasse cas. Faire l’économie des affects résume son programme. Revenons donc à cette économie de l’activité nerveuse, toute en quantum d’affects, en investissement, en monnaie du sens, en stratégie d’épargne, dixit le lexique métapsychologique de Sigmund Freud. C’est d’elle secrètement qu’il est question dans l’enjeu d’accumuler du capital financier.

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Sigmund Freud.

L’économie psychique, on l’a entendu depuis 1915, vise à maintenir bas le taux d’excitation de l’appareil nerveux. Satisfaire un besoin, donner libre cours à une pulsion, soulager une tension, c’est surtout, pour lui, réduire l’agitation qui le démange, d’où l’impression de plaisir, plus précisément d’assouvissement. Accaparer quelque chose, manger, baiser… À travers des affirmations, des manifestations, des expositions ou des rapports d’objet, le sujet, dès lors qu’en vie, se trouve à la recherche de stratégies grâce auxquelles il dépensera l’énergie psychique cristallisée dans des intentions. Ce déploiement psychique procède d’un rapport de l’intérieur à l’extérieur en tant qu’il a cours sans heurt, pour ainsi libérer l’appareil moral de sa charge.

Si la métapsychologie nous a appris à y voir le résultat d’un processus de « dépense », on peut davantage associer le bien-être que ces réalisations procurent à la réalité d’une épargne. Ce dont la psyché jouit lorsqu’elle manifeste ses intentions relève en fait d’une économie d’effort, en ce qu’elle n’a pas eu à cette occasion à œuvrer à un travail de refoulement. La société lui a laissé médiatiser l’accomplissement d’un désir sans contrariété. Autrement, il lui aurait fallu refouler. Ce qui lui arrive hélas le plus souvent. La psyché refoule en permanence. Continuellement est-elle appelée à contenir en son sein des assauts psychiques qui ne trouvent pas de correspondances dans les formes socialement admises, celles que Freud comptabilise au titre de « monnaie névrotique » (neurotische Währung).

Être riche, psychiquement, c’est se donner les moyens de manifester aussi aisément et fréquemment que possible ses intentions psychiques : surtout ne pas devoir les contenir dans de coûteux processus du refoulement. Car refouler est précisément ce qui fait augmenter le taux d’excitation psychique. D’où le malaise, le désagrément, l’agitation, toutes les névroses qui troublent les pauvres gens, devant une classe de dirigeants si maîtres d’eux-mêmes, sans parler de leurs cohortes d’experts et de porte-bouche si posés dans leur ordinaire. Pour les infortunés, il en coûte durablement de refouler ; il s’agit d’un processus qui ne consiste pas à expédier une fois pour toutes hors du décor moral une intention n’ayant pas droit de cité dans l’économie générale des mœurs, mais d’un effort de tous les instants. Refouler, c’est tenir durablement en respect une intention, jusqu’à ce qu’on arrive à négocier sa sublimation dans une forme dérivée ou à la travestir suffisamment pour qu’elle se faufile dans l’extériorité avec des allures décalées.

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Heine, par Oppenheim.

La monnaie, au sens courant d’une richesse par un système de codification socialement reconnu, participe de cette économie psychique. De ce point de vue, être riche consiste à faire, plus souvent que lorsqu’on ne l’est guère, l’économie d’actes de refoulement. Prenons ce placeur d’une maison de jeu qui doit escorter un soir un célèbre millionnaire, et dont traite le poète allemand Heinrich Heine dans une allusion que, plus tard, Sigmund Freud rendra célèbre :

« Rothschild m’a traité tout à fait comme son égal, il m’a traité d’une manière tout à fait familionnaire. »

Le père de la psychanalyse a interprété ce mot d’esprit comme une manifestation de l’inconfort du personnage déclassé, une fois confronté à celui qui jouit d’un statut social supérieur au sien. « La condescendance d’un homme riche a toujours quelque chose de fâcheux pour celui qui en fait l’expérience. » On comprend surtout, si on inverse la proposition, que les titres de richesse constituent un passeport vers une posture condescendante. Ce que le placeur de Heine suggère finement. La richesse et ses attributs donnent libre cours à de viles attitudes que la condition d’homme fortuné vient de toutes les manières racheter. L’ostentation de la richesse passe elle-même pour une monnaie qui transmue les désaveux attendus en marques de reconnaissance. Mépriser devient alors de bon aloi.

Il y va donc, pour le puissant, d’une économie du refoulement de tous les instants. Lui sont étrangers les efforts psychiques dont font les frais les personnes « ordinaires » — c’est-à-dire conformes à l’ordre — pour se montrer nécessairement humbles, frugaux, retenus, obéissants et mêmes respectueux. Plutôt être riche et jouir sans entrave des rires sardoniques qui jaillissent en soi lorsqu’on fait l’économie de ce prêchi-prêcha destiné aux misérables. Les dérapages misogynes d’un magnat italien de la presse devenu Président de Conseil de son pays en témoignent autant que les prétentions à l’impunité d’un ex-dirigeant du Fonds monétaire international aujourd’hui accusé d’avoir trempé dans les affaires interlopes de proxénètes vomitifs, sans parler de tel héritier d’empire se proposant dans son coin de pays de conduire les destinées d’historiques sociétés d’États malgré son incompétence notoire.

« La science du leadership les conforte dans leur présomption délirante, d’autant plus qu’elle est enseignée dans les universités qu’ils commanditent, et propagée dans la presse économique qu’ils détiennent. L’argent en tant qu’on le concentre massivement vient ici pulvériser la barrière des scrupules. »

À ces démonstrations de puissance qui achèvent de bafouer le principe de réalité s’ajoutent des sophismes exaltés, dont le premier consiste à présenter les possédants comme créant de la richesse au bénéfice d’autrui, tandis qu’ils la ponctionnent en vérité. La science du leadership les conforte dans leur présomption délirante, d’autant plus qu’elle est enseignée dans les universités qu’ils commanditent, et propagée dans la presse économique qu’ils détiennent. L’argent en tant qu’on le concentre massivement vient ici pulvériser la barrière des scrupules. Georg Simmel a résumé la situation avec justesse dans son essai de 1896,L’argent dans la culture moderne : « Bien des gens sont enclins à se comporter avec beaucoup moins de conscience morale et de manière plus louche dans de pures affaires d’argent que lorsqu’il s’agit de faire quelque chose de douteux éthiquement dans d’autres relations. » Cet argent lève souvent l’impératif de la réflexivité morale. Investissement suprême, on est prêt à bien des efforts pour se hisser socialement au stade où tous ces efforts psychiques nous seront épargnés.

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