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Le Monde du Sud// Elsie news

Le Monde du Sud// Elsie news

Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Bois Caïman : Quelle Leçon pour Aujourd’hui ? Par Pascale Doresca

Publié par siel sur 17 Août 2013, 00:05am

Catégories : #CULTURE

Into the crashing sound, 
into wickedness, she cried, 
No one, no, nor no one million 
ones dare deny me God, 
I go forth 
along, and stand as ten thousand
.
 

The Divine upon my right 
impels me to pull forever 
at the latch on Freedom's gate.
 
Maya Angelou (Our Grandmother)
 
 
 
Bois Caïman : Quelle Leçon pour Aujourd’hui ?

 
Entre le réel et le mystique
 
A part quelques rares historiens et analystes de la révolution haïtienne dont Léon-François Hoffmann (1991) qui ne voient dans le congrès du Bois Caïman qu’un mythe savamment élaboré pour édulcorer le récit historique et embobiner les romantiques, la majorité des Haïtiens— même les plus acculturés —établit une causalité claire entre ce congrès d’esclaves tenu le 14 août 1791 et la guerre qui culmina en l’indépendance d’Haïti de la France. En effet, Bois Caïman marque le début de la révolution de Saint Domingue. Ce fut pendant cette rencontre politico-religieuse que l’âme haïtienne s’affranchit des dogmes coloniaux et se définit en tant qu’entité libre et indépendante. Les esclaves, à travers leur danse, leurs transes, leurs incantations et le rythme percutant de leurs tambours invoquèrent et s’approprièrent un Dieu non blanc, amant de la liberté et de l’humanité de tous ses fils ; le vent de révolte souffla de toutes ses forces sur l’assemblée qui jura de se battre jusqu’au dernier souffle. Le temps des chaines était compté.

 
Quoique Bois Caïman fût, à priori, une rencontre politique et stratégique entre plusieurs chefs de la révolution dont Boukman, Jean-François, Jeannot, et plusieurs autres, la petite histoire friande de sensations fortes n’en retiendra que les relents mystiques et rocambolesques. Dans la peinture et les chansons, dans les livres et les contes, les plans de révolution pondus par cette nuit du 14 août 1791 céderont bien vite la place au cochon égorgé d’un seul coup de machette, au sang versé sur l’assemblé, au lwas qui descendirent de Guinée et chevauchèrent l’assistance, à Boukman qui cracha du feu, et au Vodou qui fit une entrée tonitruante dans l’histoire d’Haïti.

Dans son roman intitulé « Island Beneath the Sea », Isabel Allende, à travers Zarité, le personnage principal, décrit Bois Caïman comme suit :
 
Bois Cayman lies to the north, near the great plains on the way to Le Cap…It is an enormous forest, a place of crossroads and sacred trees, where Damballah resides in his serpent form, loa of streams and rivers, guardian of the forest. In Bois Cayman live the spirits of nature and of dead slaves who have not found the way to Guinea. That night, other spirits that were well installed among Les Morts et les Mystères also came to the woods, but they came prepared to fight, because they were called[Bois Cayman s’étend au nord, près des grandes plaines sur la route en direction de Le Cap…C’est une immense forêt, un enchevêtrement de carrefours et d’arbres sacrés, où Damballah vit sous la forme d’un serpent, lwa des courants d’eau et des rivières, gardien de la forêt. A Bois Caïman vivent les esprits de la nature et des esclaves morts mais qui n’ont pas encore atteint la Guinée. La nuit dernière, d’autres esprits bien ancrés chez les Morts et les Mystères étaient aussi présents, et ils sont venus prêts pour le combat, car ils étaient interpellés.] (Ma traduction)

 
Plus loin, Zarité continue:
 
The meeting of the slaves in Bois Cayman occurred in mid-August, on a hot night wet from the sweat of men and of the earth. How was the news passed? They say that the drums carried the message from kalenda to kalenda, from hounfor to hounfor, from ajoupa to ajoupa; the sound of the drums travels farther and faster than the roar of a storm, and all the people knew its language[La rencontre des esclaves à Bois Caïman eut lieu à la mi-août, par une nuit chaude et mouillée, mouillée de sueur d’hommes et de la nature. Comment les nouvelles furent-elles transmises ? Ils racontent que les tambours transmirent le message de kalenda à kalenda, de hounfor à hounfor, d’ajoupa à ajoupa ; the son des tambours voyagea plus loin et plus vite que le rugissement de la tempête, et tout le monde comprenait ce qu’il disait.] (Ma traduction)
 
L’autre mythe
 
Il est, néanmoins, un autre mythe  dans lequel les zélotes du christianisme s’abreuvent et à travers le prisme duquel la réalité se reflète en bien ou en mal. Ce mythe cousu de mille bondieuseries à faire dormir debout n’est autre que le mythe du Dieu blanc aux yeux bleus et à la barbe blanche, qui, dans un coin particulier du ciel, observe les hommes. Selon ce mythe sacré, Dieu, en tant qu’être suprême, est une propriété de l’homme blanc ; le noir, le jaune et l’arabe sont des êtres défectueux auxquels il faut imposer la Bonne Nouvelle du christianisme, la femme est inferieure et faite pour obéir à l’homme ; est bon tout ce qui convient à l’homme blanc, propriétaire de Dieu et du paradis ; est mauvais tout ce qui provient de l’homme noir, jaune ou arabe qui ira bruler en enfer pour les siècles des siècles.
 
Pat Robertson et confrères se servent de ce mythe journellement et assidument pour expliquer la réalité. Aux dernières nouvelles, selon ce paradigme binaire et simpliste, Bois Caïman était responsable, selon Robertson, du tremblement de terre qui en 2010 causa plus de 200,000 morts en Haïti. C’est au diable, par ricochet au vodou, avec qui le pacte du 14 août 1791 fut signé qu’il faut imputer le sous-développement d’Haïti. Des disciples de Robertson, il en existe plein à l’intérieur et à l’extérieur d’Haïti, sur la toile et ailleurs. A les entendre philosopher, il suffirait d’éradiquer le vodou d’Haïti pour en faire un pays où coulent le lait et le miel.
 
Pour Robertson et confrères, la seule façon de s’affranchir de ce pacte honteux et calamiteux c’est de s’en remettre au Dieu des justes. Et ils sont nombreux les Haïtiens qui s’en sont remis à Dieu et qui ne vivent que pour le royaume des cieux. En effet, ces Haïtiens aiment clamer à qui veut l’entendre qu’ils ne sont pas de ce monde, que leur royaume est au ciel.

 
Pour peu que l’on y pense, ce mythe de Dieu n’est pas un mythe à proprement parler. Depuis quand les mythes avaient-ils l’échine aussi raide, les bras aussi longs et aussi puissants, et le cœur aussi dur ? Ce mythe  n’a-t-il pas causé plus de morts dans l’histoire de l’humanité que toutes les guerres réunies ? La Traite des Noirs, n’a-t-elle pas eu lieu par et pour ce mythe ? Et à bien regarder, les lignes entre le Nord et le Sud aujourd’hui en 2013, sont bien implantées dans ce mythe qui a toujours décidé du sort des hommes et des Etats.

 
A bien y réfléchir, ces fondamentalistes religieux ont réussi leur pari en Haïti. Ne sommes nous pas un peuple singulier? Un peuple qui n’hésite pas à cracher sur son histoire pour plaire aux autres qui l’observent. En effet, au lendemain du 12 janvier 2010, alors que le business de l’humanitaire comptait de gros sous par tête d’Haïtiens, nous étions des milliers à reprendre la déclaration de Robertson.

 
Individualisme suicidaire
 
A force de vouloir nous éloigner de tout ce qui est haïtien, à force d’ingurgiter à la sauvette des doctrines taillées sur mesure par des fondamentalistes religieux de tout poil, nous avons adopté, sans nous en rendre compte, un individualisme suicidaire qui finira tôt au tard par avoir raison d’Haïti.  N’est-ce pas étrange que le rythme de la dégradation des conditions de vie en Haïti soit inversement proportionnel à la prolifération des églises protestantes ?

 
Dans son poème, Our Grandmother, Maya Angelou affirme la nécessité d’être solidaire. « I come as one, but I stand as 10,000 to the 10th power… », « Je viens par moi-même, mais je représente des milliers. » Ou encore « Vous ne voyez que moi, mais des millions d’Haïtiens sont debout en moi et avec moi. Certains d’entre eux n’ont pas mangé depuis deux jours, certains d’entre eux se meurent sans pouvoir consulter un médecin, certains d’entre eux travaillent comme esclaves dans les bateyes en Dominicanie, certains sont morts en pleine mer dans leur désir d’échapper à l’enfer, certains sont morts en plein jour sous les balles assassines des politiciens avares, certains jurent de continuer à espérer tant qu’il y a la vie, certains sont forts, et contrairement à ce que vous voulez me faire croire, je suis de ce monde, je suis d’Haïti et j’ai pour leitmotiv « Yon sel dwet pa manje kalalou ! » Appelez ça leitmotiv du diable si ça vous chante, mais je ne lâcherai pas. Aujourd’hui deux cent vingt-deux ans après ce fameux congrès d’esclaves, s’il est une leçon à tirer c’est qu’il est vital de se mettre ensemble. Il est vital de casser les lignes contraignantes qui divisent les Haïtiens en Haïtiens d’en haut et en Haïtiens d’en bas, en Haïtiens du dedans et en Haïtiens du dehors, en Haïtiens de l’intérieur et en Haïtiens de l’extérieur. Et bien plus que ces divisions étroites, il faudra une bonne fois pour toute s’accepter en tant qu’Haïtiens. Qui osera poser la première pierre du Musée du Bois Caïman ?
 
Pascale Doresca
15 août 2013

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