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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Meurtres à Cité Soleil 4

Publié par Elsie HAAS sur 31 Décembre 2006, 12:46pm




                                                                     
La Minustah devrait savoir que si l'exclusion en Haïti est très forte, par contre on ne peut pas diviser la grande masse populaire qui traditionnellement partage les mêmes joies et les mêmes douleurs



Editorial du journal haîtien
Haiti en Marche

MINUSTAH

MASSACRE A CITE SOLEIL

Des opérations risquant d'aggraver le mal

ANALYSE

PORT-AU-PRINCE, 23 Décembre - La Minustah a mené vendredi une opération dans le bidonville de Cité Soleil qu'elle a qualifiée elle-même " d'envergure " (communiqué de presse en date du même jour, vendredi 22 décembre).

Oui, d'envergure, si l'on en juge par le nombre de cadavres et de blessés laissés sur le terrain.

La télévision haïtienne, Canal 11, qui a été immédiatement sur les lieux, a montré 4 morts et plusieurs blessés conduits à l'hôpital Sainte Catherine tenu dans le bidonville par l'association Médecins sans Frontières.

Cependant le correspondant de l'AFP mentionne " au moins une dizaine de morts et plusieurs dizaines de blessés. " Mais des informations qu'il tient par oui dire, " selon des sources concordantes. "

Un photographe de Reuters couvrant l'opération a dénombré au moins neuf cadavres à l'issue des affrontements qui ont éclaté à l'arrivée des forces de l'ordre.

Selon des témoins, il y a eu quatre victimes supplémentaires et d'après des humanitaires, on dénombre en outre une trentaine de blessés (Reuters).

Selon nos confrères de Canal 11, les casques bleus peuvent être repartis avec un certain nombre de corps.

Sont-ce ceux des individus qui étaient directement ciblés ?

 
Beaucoup de dissemblances...

Oyez le communiqué de la mission onusienne. " L'objectif de cette opération d'envergure fait partie d'une stratégie de lutte contre l'insécurité, suite à la vague récente de kidnappings dans la capitale. Un autre objectif de la mission de ce matin était la réouverture de la route principale menant à Bois Neuf, le fief du chef de gang Belony. "

Pour l'AFP (dont la principale source d'informations semble être encore la Minustah), " les gangs utilisaient ce quartier pour y séquestrer des personnes à des fins de rançons. Depuis plusieurs semaines, la pratique des enlèvements a redoublé et, fait nouveau, vise de plus en plus d'enfants. "

Cependant il existe beaucoup de dissemblances, sinon de contradictions, entre les informations fournies officiellement par la Minustah et celles relevées sur le terrain à la suite de son intervention.

D'abord, le bilan. Son communiqué de presse ne mentionne aucun mort ni blessés, mais se contente d'indiquer : " Au cours de cette opération qui a duré plusieurs heures, des échanges de tirs ont eu lieu. "

Quant à l'AFP, elle avance " une dizaine de morts et plusieurs dizaines de blessés ". Mais plus loin : la porte-parole de la Mission, Sophie Boutaud, s'est refusée à évoquer un bilan, indiquant qu'il était en cours d'évaluation, mais " il n'y a pas de victimes du côté de la Minustah. "

 

Plusieurs enfants ont été soignés...

Par conséquent, les casques bleus ont-ils fait un tel massacre parce qu'ils se sont heurtés à une résistance acharnée ou non, on ne sait pas.

Il y a des femmes parmi les morts et plusieurs enfants ont été soignés à l'hôpital Sainte Catherine pour blessures par balles.

D'autre part, la raison évoquée de leur côté par les habitants de Cité Soleil pour l'opération est à mille lieues de ce qu'on lit dans le communiqué de presse de la Minustah.

L'AFP écrit : " un char des Casques bleus aurait été incendié lors des affrontements, selon une source onusienne. "

Selon l'agence Alterpresse, " l'opération déclenchée à deux jours de la fête de Noël, a permis la récupération d'un char de la Minustah qui était retenu et incendié à Cité Soleil. "

La rumeur avait couru comme une traînée de poudre : les bandits de Cité Soleil se sont emparés d'un blindé de la force onusienne.

Selon Alterpresse, on faisait même croire qu'une mitrailleuse M-50 " a été confisquée par les bandits. "

Or c'est encore la porte-parole Sophie Boutaud qui a elle-même tout démenti.

D'abord les bandits de Cité Soleil ne s'étaient emparés d'aucun char de la Minustah. Celui-ci était tombé en panne et les soldats onusiens ont dû l'abandonner sur place pour revenir le chercher plus tard.

Et c'est de toute évidence à leur retour que les accrochages ont eu lieu, laissant le terrible bilan de dix morts au moins et plusieurs dizaines de blessés (AFP dixit).

 
Opération représailles...

Les habitants de Cité Soleil avaient-ils mis le feu au char abandonné, étant donné que les casques bleus sont ressentis aujourd'hui comme des ennemis dans les quartiers populaires de Port-au-Prince, nous ne saurions non plus le dire. La Minustah se refusant à fournir, comme on le voit, des informations vraiment précises pour se livrer elle aussi à une sorte de manipulation médiatique.

En tout état de cause, l'opération du vendredi 22 décembre n'entre pas directement dans le cadre de la lutte contre le kidnapping, ni aucune nécessité d'ouvrir " la route principale conduisant à Bois Neuf... ".

Il s'agissait pour les casques bleus de récupérer un blindé tombé en panne et qu'ils avaient dû abandonner sur les lieux.

Sachant l'hostilité actuelle des riverains à leur égard (nombreuses manifestations anti-Minustah tenues ces dernières semaines à Cité Soleil), les hommes de Edmond Mulet sont revenus en force et le doigt sur la gâchette.

Ils ont donc fait apparemment un massacre, tirant à la mitrailleuse lourde et à l'aveuglette, tuant et blessant même des enfants...

Et aucun casque blessé, note l'AFP.

Ni kidnappeurs arrêtés, ni otages libérés...

Une opération ponctuelle et rien d'autre. Rien à voir avec toute la phraséologie sur la lutte contre les kidnappeurs (qui eux se prélassaient probablement non loin ou bien loin de là).

Canal 11 montre trois blindés de la mission onusienne se retirant des lieux à toute vitesse, suivis aussitôt par une manifestation rassemblant des centaines de gens conspuant les soldats internationaux.

Aucune trace de kidnappeurs arrêtés, ni d'otages libérés, ni de planques détruites ou d'armes récupérées.

Ni d'opération conjointe de l'ONU et de la Police nationale, comme le répète ad nauseam une certaine presse locale très peu curieuse tant que ses intérêts ne sont pas dérangés.

Selon Radio Canada, "le coup de force de l'ONU et de la police haïtienne visait à combattre les bandes armées qui menacent de déstabiliser le pays tout entier."

 Une simple couverture...

Cependant aucun policier haïtien n'a participé en personne à l'opération de vendredi dans le quartier de Bois Neuf (Cité Soleil). Aucune présence policière haïtienne n'a été signalée sur les lieux de l'attaque. C'est une affaire strictement Minustah.

La coopération avec la Police nationale d'Haïti (PNH) n'a servi dans le cas présent que comme une simple couverture.

Tout comme le " feu vert " qui aurait été accordé peu auparavant par le président René Préval à la force internationale pour mener des opérations dans les quartiers populaires.

Le chef civil de la Mission, le guatémaltèque Edmond Multet, l'a annoncé jeudi lors du point de presse de la Minustah.

" Ce n'est pas un chèque en blanc ou une carte blanche. Ce que l'on a c'est un feu vert. Et avec la PNH, nous avons déjà monté plusieurs opérations dans certains quartiers... ".

Mais précisons : " avec la PNH. " Ce n'était pas le cas vendredi à Cité Soleil.

 La Minustah nous divise davantage...

En conclusion, l'opération de vendredi n'est pas de nature à augmenter la confiance de la population dans la mission internationale, comme celle-ci dit le rechercher (la Minustah devrait savoir que si l'exclusion en Haïti est très forte, par contre on ne peut pas diviser la grande masse populaire qui traditionnellement partage les mêmes joies et les mêmes douleurs)...

Ensuite, ce genre d'opérations ne peut contribuer qu'à élargir toujours plus le fossé avec la minorité des possédants que les soldats étrangers seront automatiquement accusés de protéger en exclusivité, étant donné que certaines voix continuent à plaider pour l'envoi massif des blindés à Cité Soleil comme solution à l'insécurité.

Donc la Minustah, en agissant ainsi, nous divise davantage. A un moment où ce sont toutes les communautés du pays qui sont frappées aussi cruellement et que c'est une réaction plus unitaire qui peut nous sauver.

Enfin ces attaques tous azimuts, " plomb gaillé ", montées à la manière des expéditions de tontons macoutes d'autrefois ou des paramilitaires du FRAPH, sans aucun discernement, ni planification, sinon l'impunité dont on jouit tant qu'on s'en prend aux pauvres gens des bidonvilles, tout cela joue à l'encontre de la stratégie que le gouvernement essaie si difficilement de mettre en place contre une criminalité déjà elle-même pas tout à fait catholique.

A quoi joue donc la Minustah ?

 Préval accusé de donner le " feu vert " aux soldats étrangers...

Justement après l'opération de vendredi, c'est au président René Préval que les manifestants de Cité Soleil s'en prenaient, lui pour lequel ils disent avoir voté et qui donne aujourd'hui le " feu vert " aux soldats étrangers pour venir les massacrer avec leurs enfants.

Cette curieuse opération du vendredi 22 décembre pourrait forcer beaucoup d'observateurs lucides à reconsidérer le sens de la présence militaire internationale en Haïti.

Déjà lors des événements du mercredi 20 décembre à Delmas 62, où une foule essayait de s'emparer de présumés kidnappeurs aux mains de la police (il se révélera par la suite que c'était une totale méprise), des congénères africains membres de la UNPOL (police onusienne) ont ouvert le feu pratiquement à hauteur d'homme sur des manifestants, faisant plusieurs blessés.

Avec une Police nationale pas suffisamment entraînée (ni fiable) et à présent la Minustah qui ne semble en faire qu'à sa tête - dont des opérations mal calculées peuvent contribuer à renforcer au contraire l'exclusion et la balkanisation (en un mot, la lutte des classes) et à semer encore plus de confusion dans notre tête - la lutte contre le kidnapping ne semble guère sur le point de démarrer.

La population devra peut-être se résigner à prendre elle-même son destin en mains, comme elle semble déjà le comprendre.

Ceci dit, au-delà du blabla des politiciens, mais avec tous les dérapages, hélas, que cela suppose...

 

Haïti en Marche, 23 Décembre 2006

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