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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Dimanche, "Les Fantoches" de Jacques Roumain, un petit roman épatant

Publié par Elsie HAAS sur 13 Septembre 2009, 09:00am

Catégories : #CULTURE

 Il n'y a pas plus merveilleux que les livres. Mais il n'y a pas plus embêtant à classer, à déplacer.  Et puis, c'est lourd.  Et puis, on a tout le temps envie d'arrêter là la corvée pour  plonger  tête baissée dans un texte oublié que l'on redécouvre.  Finalement on n' en sort jamais de ces rangements. Aujourd'hui,  un petit livre de Jacques Roumain " Les Fantoches"  m'a octroyé une assez longue pause.

 Que du plaisir !

Ce livre de Roumain ne semble pas intéresser les critiques. Il y a "Gouverneurs de la Rosée "qui a fait couler beaucoup d'encre. "La Montagne ensorcelée "et les poèmes sont eux aussi , dans une moindre mesure bien sûr, connus.

"Les  Fantoches "  raconte le milieu bourgeois de Port-au-Prince.  A l'époque situé du côté de Turgeau,  Bois Verna.  Pétion-Ville c'était déjà la campagne. Avec une férocité, qui se traduit par des  associations de contraires : " On fut obligé de la gifler pour sécher ses pleurs", Roumain décrit un mileu obnubilé par les apparences, bourré de préjugés, où vanité, stupidité et cruauté sont la norme.

Les personnages  sont créés, on le subodore, à partir du vécu. On sent que Roumain  puise  dans l'observation de son entourage pour  les construire;  de sorte que les Fantoches à la fois fiction et  réalité, sorte de docu-fiction, comme on dit pour le cinéma,  dévoile l'intimité d'une classe.

Je mettrais ma main à couper, connaissant l'hypocrisie confite de ce groupe social, que de cette exposition des dessous  vient le manque d'intérêt pour ce roman. Roumain aurait voulu provoquer cette classe d'hommes et de femmes qu'ils nomment les Fantoches en leur  renvoyant leur image dans un miroir, qu'il n'aurait pas fait mieux. Eh bien, ces messieurs et dames n'ont pas du tout aimé ce qu'ils y ont vu et se sont empressés de faire disparaître ce maudit miroir.
Un sort un peu similaire à celui d'"Amour, Colère et Folie" de Marie Vieux Ca, c'est mon interprétation plus au moins psycho-sociologisante. D'autres attribueront ce désintérêt à des causes plus pragmatiques : manque d'argent, d'information, de lectorat.


Les fantoches d'aujourd'hui  sont la photocopie de ceux d'hier (1931). Avec néanmoins un changement notable, leurs équivalents actuels sont "décomplexés". C'est-à-dire qu'ils n'en ont rien à faire d'étaler bêtise, petitesse, égoisme et rapacité qui à leurs yeux deviennent des signes extérieurs d'appartenance à l'élite.

Voici donc un petit extrait de "Les Fantoches" , tiré de l'édition de la Collection Indigène des Ateliers Fardin en mai 1977.  Regardez-bien, chaque mot est pensé,  positionné à une place précise,  avec une économie épicée d'humour pince sans rire.  Un régal!

" La vie des Ti-mounes est soumise à la même cruelle mentalité.

Charmantine avait été cédée aux Tiballe vous les connaissez, ces Tiballe ; highlife port-au-princien, par ses parents : des paysans.

Madame Tiballe avait promis de lui donner une éducation chrétienne,  de l'envoyer à l'école, de la nourrir et de l'habiller convenablement.

Elle fit sa première communion. L'hostie sainte  devait être sans doute, un suraliment divin pour la malheureuse nourrie de cassave et de déchets de la cuisine.

On lui apprit à travailler à force de taloches.

Bonne à tout faire, elle surveillait aussi les ébats des jeunes Tiballe qui daignaient la traiter de sale négresse.

Mal nourrie, vêtue d'un caraco qui ne connaissait la lessive qu'à la semaine des quatre-jeudis, elle se couchait dans un réduit, sur une natte.

Le sommeil devait être doux à la servante après l'épuisant labeur du jour.

Malgré la nuit, le vieux Tiballe venait parfois dans sa chambre et sous prétexte de lui apprendre sa prière, la faisait mettre à genoux et tentait de la caresser. Elle se débattait, menaçait d'appeler. Il la frappait et s'en allait.

Seul le fils ainé des Tiballe lui témoignait de la sympathie.

Cela vous étonne, hein ? Octave Tiballe ; ce vaniteux macaque, bête comme une semelle et sournois comme la ruade d'une mule.

Vous allez comprendre tout de suite.

Les enfants Tiballe avaient donc leur souffre-douleur. Eux qui tiraient vanité de leurs cheveux plats, trouvaient plaisant d'arracher les mèches crépues de Charmantine, pourtant si patiemment assouplies le matin à l'huile de palma-christi et rangées tout autour de la tête en soigneuses plates-bandes.

Eux, qui étaient fiers de leur couleur claire, n'avaient aucun scrupule à frapper cette chair noire qu'ils méprisaient.

Un jour Octave Tiballe la défendit. Elle lui en fut si reconnaissante qu'elle éclata en sanglots, elle qui avait jusque là supporté les coups et les injures sans un mot, sans une larme.

Elle semblait inconsolable.

On fut obligé de la gifler pour sécher ses pleurs.

Une autre fois il la protégea contre la brutalité du père Tiballe.

En secret, il lui faisait de menus présents : des friandises, du pain, des fruits et les accompagnait de bonnes paroles.

Charmantine naissait à une vie meilleure.

Un soir, Octave Tiballe pénétra dans sa chambre. Il exigeait sa récompense.
Dans l'ombre, ils luttèrent longuement.
A la fin, elle le mordit au visage sauvagement, cria...
Le doux Octave prit peut et lâcha prise.

Quelques jours plus tard, Madame Tiballe se plaignit de ne pouvoir retrouver un bijou, que cependant, elle savait avoir déposé dans un endroit précis.

Charmantine interrogée répondit qu'elle ignorait où se trouvait l'objet égaré.

Octave Tiballe subitement inspiré proposa de fouiller la chambre de Charmatine.

On retrouva le bijou sous la natte.

Charmantine nia, jura de ne l'avoir pas volé. On ne l'écouta pas.

Octave Tiballe fut chargé de lui administrer une raclée, qui fut soignée.

Madame Tiballle déclara : " qu'il n'y a rien à faire avec  le nègre." On la chassa. "

A suivre

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