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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Le « de-risking » : coup d’État financier ou défaut de langage dans la presse écrite d’Haïti ? - Par Robert Berrouët-Oriol

Publié par Robert Berrouët-Oriol sur 12 Septembre 2016, 15:48pm

Catégories : #CULTURE, #AYITI ACTUALITES

La presse écrite, en Haïti, est un excellent baromètre, une extraordinaire mine d’or pour les chercheurs qui observent et analysent un registre de langue ou l’état actuel de la compétence écrite en français chez ceux qui ont la communication pour profession. Quelque peu à l’image de la presse écrite en France qui fait la part belle à une récolte quotidienne d’inutiles anglicismes, la presse écrite haïtienne elle aussi accueille parfois d’inutiles emprunts à l’anglais là où la plupart du temps il existe des termes parfaitement français bien implantés dans la langue générale comme dans les langues de spécialité. Exemples : « computer » au lieu d’« ordinateur », « smartphone » plutôt que «téléphone intelligent », « kit » au lieu de « trousse », « convention center »/« centre de convention » plutôt que «centre des congrès », « sponsor » au lieu de « commanditaire », etc.

Le Larousse définit comme suit le terme « anglicisme » : « Mot, tour syntaxique ou sens de la langue anglaise introduit dans une autre langue. Solécisme consistant à calquer en français un tour syntaxique propre à l'anglais. » Le dernier-né des anglicismes dans la presse écrite en Haïti est apparu récemment : il s’agit du terme « de-risking », qui alimente les maux de tête des responsables économiques et politiques du pays. Ils craignent l’étranglement concerté d’Haïti par la haute finance internationale au motif que Port-au-Prince ne participe pas à la lutte contre le blanchiment des capitaux. En clair, ils appréhendent un coup d’État financier inédit dans l’histoire nationale dont les effets pourraient s’apparenter à une durable mise à mort de l’économie nationale…

L’anglicisme « de-risking » a donc fait irruption dans l’espace médiatique et il s’invite dans nombre de conversations. L’observation des performances de la presse audiovisuelle, en français comme en créole, pourrait sans doute servir d’indicateur quant à la migration de ce terme dans la langue parlée. Toutefois dans cet article j’analyse uniquement les occurrences récentes de « de-risking » dans la presse écrite en français.

 

 

I. Observations préalables et domaine d’emploi du terme

En terminologie, l’analyse d’un « terme » (unité terminologique simple ou complexe désignant une notion) commande de situer ce terme dans son contexte, dans son environnement syntaxique/grammatical attesté comme dans sa datation et son domaine d’emploi. Ainsi, le terme« de-risking » a été relevé dans les contextes d’utilisation suivants :

1.     « Face à la menace du « de-risking » qui pèse sur le système financier haïtien si d’ici novembre 2016, des lois ne sont pas votées pour mettre le pays au diapason par rapport à ses partenaires de l’international, les autorités haïtiennes semblent décréter la permanence en vue d’épargner le [sic] pays du pire [sic]. » (Source : « Deux projets de loi déposés à la Chambre des députés », Le National, Port-au-Prince, 31 août 2016)

2.     « Un autre défi qui vient de faire l’objet d’une rencontre multisectorielle et de débats, et qui prend quasiment la forme d’une menace sans précédent pour notre système bancaire et financier est le De-risking. » (Source : « Le Conseil d’administration de la BRH installé », Le National, Port-au-Prince, 31 août 2016)

3.     « Une source proche de l’Association professionnelle des banques (APB), jointe au téléphone lundi après-midi, estime qu’une banque commerciale haïtienne qui perd une correspondante comme [la] Bank of America [cela] signifie qu’elle ne peut plus faire des transactions sur l’extérieur. (…) Le phénomène est connu sous le nom « de-risking ». Il est mondial et s’intensifie. » (Source : « Banque, blanchiment, terrorisme, Haïti doit agir », Le Nouvelliste, Port-au-Prince, 18 juillet 2016)

4.     « Des représentants des pouvoirs publics et du secteur privé des affaires, sans forcer sur les traits, ont évoqué les conséquences économiques et sociales désastreuses du « de-risking » et surtout l’urgence d’une action rapide et concertée pour éviter ce choc à Haïti, au cours d’une réunion tenue au centre de convention de la BRH, le vendredi 26 août 2016. » (…) « Le pays ne peut risquer cette catastrophe », a-t-il insisté, soulignant que le « de-risking », outre l’impact sur les transferts d’argent, peut avoir des « impacts sociaux importants ». (Source : « Face au spectre « De-risking », le secteur privé attend des actions concrètes », Le Nouvelliste, Port-au-Prince, 26 août 2016)

Première observation : dans Le National comme dans Le Nouvelliste, le terme simple « de-risking » est un subsantif plutôt qu’un adjectif ou un verbe. La majuscule de l’exemple no 2 (« De-risking ») est fautive, les règles d’écriture en français n’autorisant pas l’emploi abusif de la majuscule comme c’est couramment le cas en Haïti. Cependant dans les phrases relevées l’emploi substantif du terme « de-risking » est conforme aux règles grammaticales usuelles. C’est plutôt son statut d’anglicisme qui pose problème.

Seconde observation : unité lexicale ou unité terminologique, le terme « de-risking » relevé dans la presse écrite haïtienne n’est pas attesté, sauf exception, dans les dictionnaires usuels comme un terme français : c’est un emprunt à l’anglais et son domaine d’emploi spécialisé, dans un classement/indexation de typethésaurus pourrait être la «finance », la « banque » et le « système financier international ». Il faudra cependant établir cette indexation par la recherche documentaire. Mais quant à son statut lexicographique, s’agit-il d’un néologisme par emprunt d’une unité lexicale de l’anglais ou s’agit-il essentiellement d’un calque abusif au détriment d’un terme français déjà implanté dans la langue usuelle ?

Troisième observation : une recherche sur les occurrences de « de-risking » (sur la disponibilité ou le nombre de fois qu’apparaît le terme) dans la documentation générale sur Internet n’a pas permis d’isoler « de-risking » comme uniterme (terme simple) français appartenant à un vocabulaire de spécialité. Par contre, une source spécialisée accessible en ligne, en anglais, fournit un éclairage sémantique de premier plan sur la signification du terme simple « de-risking » dans le vocabulaire particulier de la finance :

« “De-risking” refers to financial institutions exiting relationships with and closing the accounts of clients considered “high risk.” There is an observed trend toward de-risking of money service businesses, foreign embassies, nonprofit organizations, and correspondent banks, which has resulted in account closures in the US, the UK, and Australia. Low profit, reputational concerns, and rising AML/CFT scrutiny contribute to de-risking, which can further isolate communities from the global financial system and undermine AML/CFT objectives. » (Source : « Understanding Bank De-Risking and its Effects on Financial Inclusion - An exploratory study ». Tracey Durner and Liat Shetret, Oxfam international, 18 novembre 2015.)

[Ma traduction] : « Le « de-risking » consiste, au sein des institutions financières, à mettre un terme aux relations avec des clients et à fermer les comptes considérés comme étant « à hauts risques ». On observe une tendance vers le « de-risking » au niveau des entreprises de services monétaires, des ambassades étrangères, des organismes à but non lucratif et des correspondants bancaires, ce qui a suscité des fermetures de comptes aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. Des marges de profits limitées, des inquiétudes quant à la réputation et une surveillance accrue du LAB/CFT contribuent au « de-risking ». Ceci peut isoler davantage les communautés du système financier global et compromettre les objectifs du LAB/CFT. »

Cet éclairage sémantique ainsi que la documentation étudiée permettent de circonscrire, dans le domaine de la «finance », la notion de « (…) « de-risking » [qui] consiste, au sein des institutions financières, à mettre un terme aux relations avec des clients et à fermer les comptes considérés comme étant « à hauts risques ».Comment dès lors traduire « de-risking » en français ? Une recherche terminologique ponctuelle consiste à analyser la documentation disponible afin de trouver, pour un terme de la langue source, un équivalent dans la langue cible dans un domaine donné. Il s’agit ainsi d’établir l’équivalence notionnelle, qui est la relation entre deux termes de langues différentes désignant une même notion. L’équivalence peut être parfaite ou partielle, adaptée ou fonctionnelle.

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