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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


La détention préventive : vrai problème ou vrai business ? - Par Erno Renoncourt

Publié par Erno Renoncourt sur 16 Octobre 2015, 09:25am

Catégories : #E.Renoncourt chroniques

Une analyse sur l’imposture des stratégies de lutte contre la détention préventive !

Toujours dans la posture méthodologique du questionnement qui participe de l’appropriation du savoir, je viens vous soumettre une réflexion sur la problématique de la détention préventive.

Voilà vingt ans qu’une campagne médiatique bien financée nous alerte sur ce problème combien injuste dans « sa vraie nature ». Vingt ans que des missions d’expertise conduites par de prestigieux instituts de la démocratie, de la justice et de l’état de droit nous en mettent plein la vue et les oreilles avec leurs stratégies pour nous aider à résorber le problème.

En vingt ans plus de huit à dix commissions consultatives ont vu le jour. D’éminents juristes, de respectables hommes de lois et des personnalités intègres de la société civile ont fait le ballet d’une commission à l’autre pour diagnostiquer  et combattre le monstre de la détention préventive. En vingt ans plus de 500 études, rapports ou diagnostics ont été produits et publiés sur la thématique.

Dans un de ces diagnostics, le "Vera Institute of Justice" nous a dit que le taux était de 80% en 2002. Dans son rapport sur la situation des droits humains entre 2009 et 2012, l’OPC nous informe que le taux est encore de 80%. En 2013, dans un rapport sur la détention préventive (règle ou exception ?), la Minustah nous apprend que le taux est toujours le même : 80%...Pis encore, la Minustah reconnait que de 1996 à 2015 toutes les stratégies ont échoué…

Comme quoi rien de nouveau sous le soleil de la détention en vingt ans ! Et pourtant on continue de faire le même exercice avec les mêmes acteurs, de célébrer les mêmes activités conduites sur les mêmes bases mouvantes et imprécises. Loin de toute méthodologie.

Or il semblerait que le modèle de données utilisé, par les experts, pour analyser la détention préventive contient un effet de structure : les variables qui mesurent le taux de la détention préventive  sont corrélées fortement et  positivement !

Du coup leur rapport restera constant….ou variera très faiblement dans le temps, dépendamment de la nature de la corrélation : linéaire ou non linéaire. Donc c’est tout à fait normal que le taux de la détention préventive reste constant à travers le temps. Il n’y a pas le feu ! Il suffit de chercher la cause de cette corrélation dans les données.

Les experts seraient ils passé au travers de cette évidence statistique ?……disons plus simplement mathématique ? Ou ont-ils, à dessein, ignoré l’effet invariant du taux de détention et continuer à crier au feu pour faire fructifier un business, au demeurant, combien rentable pour certains ? Car l’autre inquiétude, c’est l’absence d’analyse statistique rigoureuse dans les études et les rapports publiés sur la détention depuis 20 ans. C’est l’absence de données fiables pour identifier et comprendre le problème. Est-ce un hasard ?

A moins qu’on pose la question autrement :   la détention préventive serait –elle  un vrai problème ou un vrai business ? Les stratégies de lutte contre la détention préventive seraient-elles pilotées par une certaine expertise de rabais qui se recycle en Haïti à travers les projets des ONG ?

La détention préventive : vrai problème ou vrai business ?

 

Quand la lutte contre la détention préventive se ramène à des célébrations médiatiques.

 

                  Le 23 mai 2011, il y a plus de quatre ans, la presse haïtienne, faisait écho, dans un article publié sur le site la de la radiotélévision caraïbes (RTVC)  , de  la célébration « pour l’administration pénitentiaire haïtienne (DAP) d’un outil information de gestion moderne et innovant, financé par le PNUD à hauteur de quelque 175.000 dollars américains ».

D’après les autorités de la DAP et du PNUD,  « ce système devait mettre fin à l’amateurisme qui était en cours dans la gestion des dossiers des détenus », en permettant d’optimiser le système d’information pénitentiaire national, notamment par l’informatisation de  toutes les prisons et par  leur connexion sécurisée à travers un réseau Virtuel Privé aux serveurs centraux de la DAP. Cet outil de gestion est regroupé autour d’une application web qui, structurée sur une architecture trois tiers, contient notamment une base de données Oracle, un serveur AFIS (Automatic Fingerprint Information System)  de traitement de données biométriques et un serveur de rapports pour faciliter la production d’indicateurs et un  tableau de bord pour la gouvernance de la détention.

Pour célébrer cet évènement qui « marquait un pas de plus vers le processus de renforcement de nos institutions », la presse était invitée à immortaliser ce moment. Pour l’occasion on faisait crépiter les flashes et en donnait la voix aux officiels du PNUD, de la DAP et des acteurs étatiques  qui,  entre deux entrevues, sablaient le champagne et dégustaient de délicieux petits sandwichs.

La fête finie. Le dossier était clos. Mais personne, ni la presse, ni les acteurs étatiques, ni les acteurs non étatiques, ni l’opinion publique …mais vraiment personne n’a cherché à savoir quel suivi était donné à ce système. Dans quelles prisons il était installé ? Était-il opérationnel ? Quels étaient les premiers bilans en termes de la gestion des dossiers carcéraux ? Comment avançait le processus d’appropriation des utilisateurs ? Quelle était l’évaluation globale du projet ? Et quelle évolution apportée par cet outil dans la lutte contre l’éternelle problématique de la détention préventive ?

Chaque célébration médiatisée, On passe à la prochaine sans évaluation et sans appropriation. Deux postures de travail qui demandent du temps et de la méthode. Mais les agences et les experts n’ont pas de temps pour construire de bonnes stratégies pour les institutions haïtiennes. Comme le prouve d’ailleurs,  la conduite du processus électoral. Loin de toute méthode, Il faut célébrer !

Ainsi oubliant très vite la précédente célébration, les mêmes acteurs s’étaient donné rendez-vous en octobre 2012 pour célébrer, cette fois-ci, l’inauguration de la prison civile de la croix des bouquets. Prison, dont les Canadiens, la Minustah et le Gouvernement « tet kale »  ont vanté, à tour de voix, la modernité.   C’était  selon le Nouvelliste  du 29 octobre 2012 « une avancée majeure dans la lutte contre la détention préventive ». Une nouvelle avancée célébrée sans se soucier des repères et des indications sur le sens des avancées précédentes : Etaient-ce des progrès ? Etaient-ce des échecs ? 

A nouveau ce fut le même rituel : Crépitements de flashes, champagne à flots, discours et dégustation de pâtés au jambon. Et vite dit, l’oubli s’installe. Et le rideau se lève sur la morne et triste réalité nous renvoyant à nos dysfonctionnements. Dysfonctionnements qui ont la vertu de disparaitre dans les discours officiels lors des célébrations, pour réapparaitre presqu’aussitôt dans les diagnostics servant à mobiliser ou à justifier la collecte de nouveaux fonds pour  mettre en œuvre de nouveaux projets et de nouvelles activités qui structureront et entretiendront, tout à la fois, les mêmes dysfonctionnements.

Mais que de diagnostics ! De 1996 à 2015 il a été produit plus de 500 rapports et études d’expertise sur la détention préventive en Haïti. Quelque huit à dix commissions consultatives ont été créés et médiatiquement célébrés dans  la presse.

 

La détention préventive : vrai problème ou vrai business ? - Par Erno Renoncourt

  Comme si les Haitiens ne souffraient pas suffisamment dans leur chair  la violence, la douleur  et l’injustice criante de ces dysfonctionnements. Comme si de nouveaux mots provenant de la bouche d’experts pouvaient mieux donner la mesure des maux qui nous dépècent sur l’autel du renforcement de nos institutions. Comme si de nouvelles commissions, quelques soient  d’ailleurs la compétence et la bonne foi de leurs membres, suffisaient à mettre en lumière ce qu’on refuse de voir, à éclairer ce qui résiste à la lumière parce maintenue dans un fond obscur pour desservir une certaine cause.

A qui profite le dysfonctionnement judiciaire haïtien ?

C’est ainsi que moins de 2 ans après cette célébration de 2012, la prison moderne et hautement sécurisée de la croix des bouquets a enregistré sa première évasion : plus de 300 détenus volatilisés et emportés dans le tourbillon de la sécurité. Et sans doute par excès de modernité, les experts n’avaient pas pensé à doter « ce  joyau de la lutte contre la détention préventive » du plus petit système de gestion de données pour identifier les détenus. Ainsi il leur a fallu au moins deux semaines pour produire, retrouver ou fabriquer, c’est comme on voudra, une liste partielle de quelque 200 sur les 300 évadés. Liste  dont personne ne peut jurer de l’authenticité.

C’est alors que la presse, ballotée  d’une célébration  à une autre, s’est rappelé qu’on avait célébré en 2011 un certain projet AFIS pour la DAP mais qu’on avait oublié d’opérationnaliser. Mais le scandale de l’évasion aidant, le Nouvelliste  jetait la pierre dans la marre en titrant «Dans les prisons la technologie reste dans les boites.» Et l’auteur de l’article écrivait à juste titre que : « La police a mis plus de dix jours avant d’annoncer l’établissement d’une « liste partielle » de 237 sur les 327 détenus qui se sont évadés de la prison civile de Croix-des- Bouquets le dimanche 10 août 2014.(…) Cela aurait pu être évité si « les autorités haïtiennes avaient l’intelligence et à défaut la décence de rendre opérationnel depuis au moins trois ans le système informatique visant à fiabiliser  les données pénitentiaires et  contrôler l’identification des détenus. Les équipements sont restés dans les boîtes.»

Et à nouveau  l’oubli s’est installé…et la détention préventive ? Et les évadés ? On y repassera ! Il y a d’autres célébrations en cours et à venir….Et comme de fait , voilà qu’un an après, n’ayant rien retenu du passé, retombant dans les mêmes errements, toute la presse, hier encore, a été invité à célébrer au palais de justice, à coup de grands titres, un nouveau pas dans la lutte pour la détention préventive avec un nouveau projet financé par les puissants de ce monde !

Encore une fois,  sans questionner les initiatives et les échecs d’hier. Sans demander une évaluation des précédentes célébrations. Sans construire le cadre de l’appropriation nationale. On fait venir des experts et, dans l’euphorie de la célébration à venir, on leur remet vite fait un cahier de charges, souvent sans adéquation avec les besoins profonds et les contraintes de l’environnement de l’institution bénéficiaire. Ainsi, sans maitrise d’ouvrage compétente pour accompagner les utilisateurs et éclairer la maitrise d’œuvre dans le recensement des besoins, sans maitrise d’usage pour garantir la bonne exploitation et l’appropriation, les experts ne peuvent s’en remettre qu’à leur technique. Or les projets informatiques ne sont pas que techniques…car la technique devient vite sans objet si l’on ne peut pas comprendre le besoin, formuler le problème  et modéliser la solution.  Dans ces conditions, toute experte que soit la maitrise d’œuvre, le produit ne peut être qu’un échec du point de vue de la « complétude », de l’utilisation et de l’utilité tout en étant « très technique ».

Ce sont ces échecs qui permettent  toujours, à d’autres ou aux mêmes, de recycler, sous d’autres labels, les mêmes projets ! Des échecs qui font que la détention préventive s’apparente plus à un véritable business au service d’intérêts divers.

 

De l’imposture des diagnostics aux échecs des stratégies de lutte contre la détention préventive

Or les faits sont têtus : quand on ne retient pas les leçons du passé, on est condamné à vivre  les mêmes errements. Et ce sont ces errements qui structurent nos dysfonctionnements.

Depuis vingt ans des missions d’expertise nous aident sans succès à résorber la détention préventive en travaillant essentiellement sous l’angle juridique de la procédure pénale, du procès et des réformes pénales, oubliant de s’intéresser aux outils de gestion qui supportent la décision: informatique et statistique. Comme s’il était possible de conduire des réformes pénales sans recourir à l’intelligence des données pour éclairer la décision politique et juridique.

Il y a deux ans tous les bailleurs et tous les experts de l’état de droit ont aidé le gouvernement à mettre en œuvre  un atelier de politique pénale pour promouvoir la réforme pénale…toujours dans la lutte contre la détention préventive. Malheureusement  aucun des experts présents à cette grande célébration  de l’état de droit n’a pu produire une analyse statistique sérieuse, basée sur des données cohérentes, pour montrer comment la détention évoluait sous l’influence des variables de contexte. Variables qui, dans le contexte judiciaire haïtien, caractérisé entre autres par l’absence de données fiables, créent un effet de structure modélisant la courbe de la détention de façon à ce que la variation des détenus suit la même loi que la variation des prévenus.

En effet, c’est là une notion mathématique élémentaire enseignée aux élèves de 9eme année fondamentale : si deux grandeurs suivent la même variation, leur quotient restera constant…ou variera très faiblement selon que la variation soit  linéaire ou non linéaire.

Or le taux de détention préventive étant le quotient du stock des prévenus par le stock des détenus (multiplié par 100), il semble évident à comprendre qu’en utilisant « le modèle de données » actuel de la DAP, et en considérant uniquement le problème sous l’angle du taux de la détention, la détention préventive sera une problématique récurrente.

De deux choses l’une : Soit les experts n’ont pas compris cet effet  statistique de structure dans les données. Leur expertise est alors questionnable. Soit ils l’ont compris et l’ont ignoré à dessein……pour fructifier le business de la lutte contre la détention préventive.

Car les experts en constatant cette corrélation auraient dû se poser deux questions : Cette corrélation est-elle due à un bug dans les données ? Ou est-elle sous l’influence d’une ou de plusieurs autres variables sous-jacentes  et présentes dans les données ? C’est du moins le réflexe méthodologique qu’on espérait de ces experts. Evidemment  il faut regretter qu’il n’existe aucune entité haïtienne capable moralement de questionner cette expertise ?

 
La détention préventive : vrai problème ou vrai business ? - Par Erno Renoncourt

Voilà les graphes des courbes d’évolution des détenus et des prévenus dans les prisons haïtiennes. En bleu, les détenus, En rouge, les prévenus. La corrélation est évidente ! C’est comme s’il s’agissait d’une seule et même fonction. Les deux creux  des courbes correspondent aux évasions massives de 2004 et de 2010.

 Ce graphique provient d’un modèle de données utilisé  par la Minustah sur son site web dans un rapport sur la détention préventive (page 6) disponible via le lien suivant : http://www.minustah.org/wp-content/uploads/2014/02/Dossiers-du-mois-13.pdf

De deux choses l’une : soit la détention préventive est un vrai problème. Mais  mal posé, mal compris, mal diagnostiqué, mal analysé, il  induit de fait des solutions incohérentes et inadaptées. Soit c’est un faux problème. Mais un vrai business aux mains d’un laboratoire qui vit de ce dysfonctionnement. 

Nous croyons toutefois que  l’absence de données fiables est un sérieux blocage à la compréhension de ce phénomène. Car Il est méthodologiquement reconnu que le besoin de données fiables se pose comme incontournable, dans toute démarche de résolution de problèmes. Et la problématique pénale n’échappe pas à ce besoin de méthodes. Il faut des données au début pour identifier et comprendre la nature et les causes des problèmes pénaux. Il faut des données à la fin pour mesurer les progrès et évaluer l’efficacité des solutions mises en œuvre. Ce sont des évidences méthodologiques que les professionnels haitiens comprennent.

Pourquoi aucun des papes du renforcement de l’état de droit en Haïti n’a eu l’intelligence de penser qu’avant de faire des réformes pénales, qu’avant de lancer une politique pénale, il faut des données ?…Non pas ces données trafiquées sur des feuilles Excel que tous les opérateurs, agences et intermédiaires du système manipulent à leur gré pour s’ouvrir une porte à la Primature ou au ministère de la Justice afin de promouvoir auprès des acteurs étatiques ce business appelé « la lutte contre la détention préventive ». Mais des données fiables provenant d’un référentiel normalisé et structuré.

En conduisant une réforme pénale sans données pertinentes et cohérentes, on se condamne à errer. On prend le risque de ne considérer qu’un seul aspect des problèmes, souvent le plus évident et le moins significatif. On se condamne à ne pas voir les problèmes dans leur  globalité et  dans leur complexité. On risque alors de s’en tenir à des solutions inadaptées et inopportunes. Des solutions toutes faites ! Des solutions « prêtes à recycler » provenant du laboratoire d’expertise qui structure nos dysfonctionnements.

 

L'importance d'un cadre méthodologique approprié

Mais au-delà de l’inexistence de données pertinentes pour éclairer les stratégies pénales en Haïti, la faiblesse de la lutte contre la détention préventive réside aussi dans l’approche du diagnostic  qui tend à recourir à un seul nombre, à une seule statistique pour étudier un  phénomène complexe et donc à fausser les solutions !

Car à la vérité, le taux de la détention préventive n’est que la mesure d’un fait, d’un problème. Et en elle-même, de façon isolée, cette mesure n’apporte aucune connaissance, aucune information pertinente qui permet de comprendre la structure du problème. Il faut nécessairement recourir à une démarche d’analyse multidimensionnelle. Démarche qui exige de mettre en œuvre un entrepôt de  données pertinentes provenant des juridictions  judiciaires  pour  recouper cette mesure avec d’autres indicateurs comme axes d’analyse. Pour essayer d’identifier ses causes, à travers un outil de diagnostic stratégique approprié. Pour essayer de comprendre comment statistiquement le problème se comporte et évolue sous l’incidence de  variables identifiées apportant chacune une contribution, à la fois, spécifique et conjuguée au problème. 

C’est alors à  travers des questions pertinentes que l’on peut espérer formuler une vraie compréhension du problème pour laisser émerger des solutions satisfaisantes : quelles sont les juridictions pénales qui écrouent aveuglément ? Quelles sont les infractions les plus réprimées par les juridictions ? Y aurait-il des cas de détention correspondant à des infractions trop facilement ou trop sévèrement poursuivies et réprimées par les juridictions ? Quel est le poids de la  récidive dans les flux de détention enregistrés ? Quelle est l’efficacité des politiques de réinsertion dans la prévention de la récidive ? Et enfin quel est le  délai mis par  les juridictions pour traiter les affaires et les infractions ? Quelle est la faiblesse des opportunités économiques dans les régions ou la détention préventive est en hausse ? Quelle est la durée moyenne en jours ou en mois des populations en détention préventive ? Quelle catégorie d’infraction donne lieu à la durée la plus longue ?

Voilà quelques-uns des axes et des dimensions sous lesquels la détention préventive devrait être analysée, dans une approche multidimensionnelle capable d’apporter une vraie connaissance pour l’action. Malheureusement, en privilégiant un seul angle d’analyse « le taux de 80%  qui est probablement faux parce que provenant de données non fiables» on est forcé de voir la solution sous un seul angle.

Puisqu’il y en a toujours trop, alors faisons les sortir !  Et souvent la nature ou les hommes nous y aide bien comme lors des deux évasions en 2004 et en 2010. Que ce soit légalement ou illégalement, ce n’est pas en faisant sortir les détenus qu’on va combattre la détention préventive. C’est en se souciant d’un probable environnement qui par la violence sociale qu’il induit pousse les gens à l’infraction C’est en se souciant de la probabilité de la récidive qui les condamnera à  y entrer à nouveau. C’est en mettant en place de vrais programmes de réinsertion pour prévenir la récidive. 

En se référant à la statistique du taux de la détention, on occulte le travail des juges qui  œuvrent dans des conditions souvent pénibles  à solutionner le problème. Car si le taux est le même de 2002 à 2015 avec de petites variations saisonnières, c’est que les juges ne font rien ! Or c’est faux !  Les juges rendent des décisions de justice…..Certainement avec plus d’outils de gestion, plus de méthodes et plus de moyens, ils pourraient faire mieux. Mais en considérant le taux stationnaire de 80%, on oublie que les prévenus ne sont pas les mêmes à deux périodes distinctes données. Car il y en a qui sortent et de nouveaux qui entrent et certains des anciens qui reviennent pour d’autres infractions. Ce que la compréhension du problème sous l’angle du taux stationnaire empêche de voir.

Voilà le cadre méthodologique qui devait guider les plans de lutte contre la détention préventive. Malheureusement, en vingt ans les experts ONUSIENS n’ont jamais pensé que la lutte contre la détention préventive devait intégrer, dans sa stratégie, les outils de l’analyse décisionnelle. Car  le système judiciaire n’échappe pas à la rigueur managériale. Comme toute institution de service public, il a besoin de méthodologie et d’innovation technologique pour répondre à des enjeux de performance et d’efficacité.

 

Mêmes experts, mêmes projets, même taux de détention préventive

Ainsi fonctionne le cycle : des experts viennent et reviennent ! La détention préventive n’a pas bougé depuis vingt ans d’après ce qu’on dit. Sans doute ne sait-on même pas la mesurer…mais on s’en fout puisqu’elle est une industrie, ou un laboratoire pour reprendre la Minustah, au service d’un cycle de célébrations. Et même quand ces célébrations débouchent sur des produits mal conçus,  mal implantés, mal appropriés, il faut célébrer ! De toute façon, on reprendra. Il y a toujours de l’argent et des experts pour des nouveaux projets…mais jamais de temps et d’argent pour de projets bien faits…..Comme pour les élections !

Ainsi va la roue de l’imposture : Celui qui était hier, en 2002,  consultant pour Vera Institute of Justice dans une des nombreuses missions d’expertise pour lutter contre la détention préventive est aujourd’hui «Coordonnateur principal du PNUD pour l’état de droit" et stratège principal de la lutte contre la détention préventive. Les mêmes projets, financés par les mêmes bailleurs, conduisent toujours de nouveaux diagnostics, qui recyclent les mêmes activités qui sont mises en œuvre par les mêmes experts et qui produisent les mêmes enfumages. Tandis que les haitiens, dans leur majorité, continuent passivement de constater les dysfonctionnements de leurs institutions……et de ruminer l’échec de leur vie, de leur pays.

Pourtant l’échec n’est pas une fatalité. Il peut être vaincu avec intelligence, avec un leadership national et un management éthique capable de rompre d’avec ce modèle d’asservissement et d’assimilation. Mais cette lutte contre l’imposture multiforme  peut mettre longtemps avant de prendre forme. Car dehors les experts ne modélisent pas seulement l’échec, s’appuyant sur la précarité ambiante, ils modélisent aussi la peur  et l’intimidation: ils affament et  réduisent au silence.

 

Miser sur l'avenir pour vaincre l'échec

Mais c’est de bonne guerre. Car aujourd’hui nous n’avons pas d’autre choix que de rompre d’avec ce modèle d’échec: nous devons refuser l’asservissement et l’assimilation pour assumer notre affirmation citoyenne  et nous approprier de notre destin national. Mais pour cela il nous faut un leadership sous la forme

•         D’une presse moins encline à célébrer l’imposture, plus prompte à questionner et à se mettre du côté de la dignité, de la vérité, plutôt que de la célébrité. Une presse plus libre et plus progressiste pour faire écho des initiatives nationales intelligentes et courageuses plutôt que de polluer l’espace médiatique avec des publicités mensongères. 

•        De nouvelles  élites moins enclines à s’accommoder de petits arrangements, de petits privilèges, ou de petites opportunités qui, n’étant que « fumier de l’imposture », n’apportent qu’enfumage pour le pays.

•      D’une société civile plus engagée dans des initiatives nationales porteuses d’alternatives et d’appropriation.

•    Des organisations professionnelles moins portées à courir après les financements internationaux  à travers de petits projets sans valeur ajoutée et sans innovation …qui minent les projets d’avenir.

Miser sur l’avenir et la rupture pour vaincre l’échec.

Mais l’avenir n’est pas dans les  célébrations. Il n’est pas dans la précipitation. L’avenir est dans la rupture ! la rupture qui annonce l’espérance des peuples. La rupture qui agite le flambeau qui éclaire la nuit pour laisser entrevoir tous les fils invisibles qui relient les impostures, les échecs et les injustices.

Car pour puissantes que soient les agences internationales, leur expertise comportera toujours une part d’imposture, si elles ne comprennent pas que l’art de diagnostiquer et de conduire un processus de renforcement institutionnel  renferme toujours  « une lutte permanente et multiforme contre l’échec ». Une lutte qui, selon Edgard Morin, « doit s’appuyer sur  le maximum d’informations possibles pour naviguer stratégiquement avec intelligence dans l’inconnu et l’aléatoire ». Car plus grandes et plus précises sont les informations, «plus l'intelligence devient grande et plus grande sera sa capacité » pour traiter les problèmes » organisationnels spéciaux et complexes.

Evidemment en raison de leur puissance, en raison de l’asservissement des uns ou de la platitude et de la lâcheté des autres, cette imposture internationale durera longtemps encore en Haïti. Vu que la communauté internationale a su aliéner chez la majorité d’entre nous toute réflexion critique, nous réduisant à un état d’asservissement qui nous enlève toute pensée de noblesse et d’indignation..

Mais pour longtemps que durera cette imposture, elle n’est pas moins promise à la défaite. Car l’espérance des peuples finit toujours par illuminer  la nuit.  Au contraire des petites réussites personnelles qui enfument, ce flambeau possède une propriété qui lui garantit le succès : il illumine la nuit pur permettre aux autres de trouver leur voie.

C’est  comme la flamme de la chandelle de Gaston Bachelard qui  éclaire la démarche méthodologique pour que l’épistémologie nous montre la voie de la connaissance. Celle qui nous apprend que dans la lutte contre l’erreur et l’échec, c’est le recours systématique aux outils de l’informatique décisionnelle, c’est l’exploration approfondie de modèles de données et d’indicateurs statistiques, c’est l’analyse intelligente d’un référentiel de données fiables et cohérentes selon des perspectives multidimensionnelles qui peuvent aider la prise de décision.

Puissent donc continuer les  célébrations !….Adelante !...... Jusqu’à ce que le peuple se réveille et puisse lui aussi célébrer son espérance par la magie de la flamme du flambeau qui éclaire cette nuit profonde et obscure peuplée d’imposture et  d’échec.

 

Erno Renoncourt, Erno.renoncourt@yahoo.fr, 8 octobre 2015

Spécialiste des systèmes d’information et statistiques décisionnels

Gestion des projets technologiques pour les entreprises.

 

 

 

 

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