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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Dimanche aysyen/créole, Ce que tout le monde (et spécialement les locuteurs haïtiens) devrait savoir au sujet des langues créoles et du créole haïtien. (Neuvième partie.)

Publié par Elsie HAAS sur 27 Décembre 2009, 10:06am

Catégories : #H.SAINT-FORT chronique



                                  Brefs regards sur la littérature haïtienne d’expression créole
                                                                   Par Hugues St. Fort

Si l’on entend par littérature la construction de textes ou de groupes de mots soigneusement élaborés par un écrivain afin d’agir sur le lecteur ou exprimer une certaine vision du monde ou de la société, il est permis de douter de l’existence d’une littérature haïtienne d’expression créole avant le milieu du vingtième siècle. En effet, on a commencé à écrire en créole en Haïti dès le 19ème siècle mais c’était une production créole raréfiée et sans prétention littéraire. La majorité des écrivains haïtiens de cette époque ont utilisé le français. A partir du début des années 1900, on constate une certaine accélération dans l’usage du créole écrit chez ces écrivains. Georges Sylvain traduit en 1901 les fables de La Fontaine (Gouraige, 1974). Justin Lhérisson publie « La famille des Pitite-Caille » (1905) et « Zoune chez sa Ninnaine » (1906) qui étaient à proprement parler des œuvres écrites en français haïtien (j’entends par français haïtien une variété de français utilisée en Haïti et quelque peu différente du français hexagonal parce que marquée sur les plans morphologique, syntaxique et lexical) mais qui contenaient aussi une parodie de la parole française en Haïti, telle que la parlaient des locuteurs créolophones unilingues ou semi-unilingues victimes du phénomène de l’hypercorrection. Othello Bayard compose en 1920 « Souvenir d’Haïti », poème mis en musique et plus connu sous le nom de « Haïti chérie » dont je retranscris les premiers vers avec la graphie de l’auteur :

                           Haïti chérie, pi bon pays passé ou lan poin.
                         Foc moin te quitté ou pou moin técap comprenn’valè ou…

Émile Roumer, Philippe Thoby-Marcellin, … écrivirent plusieurs poèmes en créole. Cependant, tous ces textes poétiques constituaient des productions isolées créoles à l’intérieur de recueils qui comprenaient majoritairement des poèmes écrits en français. De plus, la poésie était le seul genre littéraire représenté. Il n’y avait pas de roman et le théâtre était pâlement représenté.

Vers le milieu des années 1900, la question de l’écriture du créole, la tentative de la mise en place d’une graphie systématique de la langue maternelle des Haïtiens par les anglo-saxons Frank Laubach et Ormonde McConnell, l’émergence de la question sociale portée au-devant de la scène politique, tout cela contribua à l’apparition d’une nouvelle vague de jeunes écrivains qui assumèrent sans honte et sans hésitation l’écriture de leur langue maternelle. Signalons au passage que l’introduction de cette graphie systématique du créole haïtien par deux anglo-saxons déclencha un tollé au sein des intellectuels francophones haïtiens qui accusèrent les « Américains » de chercher à éliminer le français en Haïti au profit de l’anglais. Ce qui bien sûr était faux. De toute façon, c’est aux environs de ces années-là (fin des années 1940 et milieu des années 1950) que se constituent les germes d’une véritable littérature haïtienne d’expression créole. Félix Morrisseau-Leroy (Diacoute, 1953), Frank Fouché (Bouki nan Paradis), Claude Innocent, Georges Castera écrivirent des recueils complets de poèmes en créole ou des pièces de théâtre qui connurent un certain succès.
En 1975, l’écrivain Frankétienne qui était jusqu’à présent connu pour des productions littéraires en français publia pour la première fois un roman entièrement rédigé en créole, Dezafi. Deux ans plus tard, Michel-Rolph Trouillot, un anthropologue qui enseigne maintenant à l’université de Chicago, publia le premier livre d’histoire écrit totalement en créole haïtien, Ti difé boulé sou istoua Ayiti (1977). Ces deux textes constituent sans aucun doute des références incontournables dès qu’il s’agit de dégager des marques constitutives d’une véritable littérature haïtienne en créole haïtien.
Dezafi peut être considéré comme le texte fondateur du roman haïtien écrit en langue créole. Personne n’a fait mieux que Frankétienne sur ce point. La structure narrative de ce roman se démarque de tout ce qui a été construit jusque là par les romanciers haïtiens précédant Frankétienne, que ce soit sur le plan de l’histoire linéaire ou de celui de la perspective du narrateur. On a dit que « Dezafi » est une tentative audacieuse de forger à la fois une langue romanesque créole et une thématique proprement haïtienne. (P. Chamoiseau et R. Confiant, 1991). C’est au niveau de ces deux instances que se situe la véritable originalité du roman de Frankétienne. Et elle est immense. Malheureusement, l’écrivain lui-même n’a pas continué sur cette lancée et ceux qui sont venus à sa suite n’ont pas montré qu’ils pouvaient profiter de ses enseignements ou même aller plus loin.
La question se pose à savoir dans quelle mesure écrire en créole garantit l’authenticité de ces textes en tant que représentatifs d’une « véritable » littérature haïtienne. Poser cette question revient aussi à se demander si écrire en français ou maintenant en anglais diminue l’identité haïtienne de nos écrivains haïtiens d’expression française (Jacques Stephen Alexis, René Depestre, Jacques Roumain, Gary Victor, Dany Laferrière, Yannick Lahens, Marie Chauvet, Jean-Claude Charles, Louis-Philippe Dalembert…) ou d’expression anglaise (Edwidge Danticat, Myriam Chancy…). L’emploi traditionnel de la langue française par la majorité des écrivains haïtiens a été évoqué avec suspicion : « La littérature d’Haïti, cette île si bien ancrée dans l’imaginaire universel comme la plus « africaine » de la Caraïbe, est très à l’aise avec les aspects français de sa culture, alors que presque toutes les autres littératures post-coloniales, dans leur quête d’une « authenticité » perdue, ne cessent de s’éloigner de leurs héritages coloniaux. » (Martin Munro, 2006). En fait, ce qui est en jeu ici, c’est la difficile question de « l’équation langue-identité ». Faut-il toujours faire coïncider langue et lieu de naissance comme déterminant identitaire? Une culture doit-elle absolument correspondre à une langue déterminée ? La nation française doit-elle nécessairement posséder l’exclusivité de la langue française ? Dans quelle mesure les littératures post-coloniales (qu’elles soient écrites en français ou en anglais) peuvent-elles se réclamer de la langue des anciens colonisateurs alors que les écrivains post-coloniaux revendiquent une identité, une authenticité et un fort sentiment national ?  Pour évoquer le cas haïtien, de ces trois romans : « Dezafi » de Frankétienne qui est écrit entièrement en créole, «Gouverneurs de la rosée » de Jacques Roumain écrit dans ce que j’appelle un « français haïtien » et « Breath, Eyes, Memory », d’Edwidge Danticat écrit entièrement en anglais, lequel peut être considéré comme le plus « authentiquement haïtien » ?

Contactez Hugues St.Fort à : Hugo274@aol.com                    

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