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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Lu sur le net :"De fait, l’ère Obama n’engendrera qu’un seul « miracle racial » : sa propre élection. "

Publié par Los Angeles Times sur 31 Octobre 2016, 14:45pm

Catégories : #RACISME, #INTERNATIONAL, #LU SUR LE NET


Durant plus de trois décennies, Kerry James Marshall a peint de superbes tableaux montrant la vie quotidienne des Noirs américains dans son atelier situé dans le sud de Chicago, le South Side. Si les thèmes choisis pour ces tableaux sont modestes – jardins des cités, cuisines, coiffeurs pour hommes – ils impressionnent par leurs dimensions et le souffle quasi-épique qui les anime. L’œuvre de Marshall fait en ce moment l’objet d’une grande rétrospective au Met Breuer, dans le quartier de l’Upper East Side à Manhattan (1).

Le titre de l’exposition, « Mastry », évoque bien l’audace de l’artiste, son ambition de prendre place sur un terrain dominé non seulement par les artistes blancs mais aussi par un dogme esthétique dont les notions de beauté, d’universalité et par-dessus tout de « maître » doivent beaucoup à l’histoire de l’oppression raciale. Les figures noires dans la peinture de Marshall annonce la présence exaltante, et même presque choquante, de quelque chose qui dans la plupart des musées brille principalement par son absence.

En visitant l’exposition en début de semaine, je me suis pris à songer à un autre habitant noir de Chicago qui a lui aussi montré qu’il était un maître, dans une profession encore plus corsetée et sectaire : celle de la Présidence. La fierté, le style et le calme presque miraculeux des tableaux de Marshall, font tous écho au leadership d’Obama. « Quand ils descendent vers le bas, nous montons vers le haut », a déclaré Michelle Obama à la dernière convention nationale démocrate. Face à la monstrueuse réaction raciste suscitée par la présence d’Obama à la Maison-Blanche, celui-ci est allé aussi loin qu’un élu du peuple pouvait aller.

Son prénom swahili qui est dérivé du mot arabe baraka, ou sagesse, signifie celui qui est béni. Beaucoup d’entre nous ont senti ou espéré qu’il aurait la baraka lorsqu’il a été élu la première fois. Il a hérité alors des guerres catastrophiques lancées par son prédécesseur au Moyen-Orient, et la crise financière qui continue d’assombrir l’horizon de nombreux Américains s’est déclenchée juste avant son entrée en fonction.

Cependant, l’espoir que la présidence Obama serait porteuse d’une transformation comme il l’avait lui-même déclaré, reflétait aussi un désir plus ancien : celui qu’il puisse aider le pays à surmonter sa fracture raciale. Main dans la main, nous le suivrions jusqu’à la terre promise post-raciale, comme s’il était une sorte de Moïse noir ou l’un de ces personnages de « Noir magique » des films hollywoodiens qui consacrent leur vie à résoudre les problèmes de leurs amis blancs. Il y a toujours eu quelque chose d’un peu kitsch dans ce rêve exprimé majoritairement par des Blancs : pour des raisons évidentes, les Noirs américains ont une vision beaucoup plus mesurée de la capacité de leur pays à faire face à ses divisions raciales – sans même parler de les dépasser.

De fait, l’ère Obama n’engendrera qu’un seul « miracle racial » : sa propre élection. Malgré tous ses talents d’orateur, il s’est montré en fait un réaliste qui a préféré avancer à petits pas plutôt que de se lancer dans des promesses aux allures de prophéties. Durant son premier mandat, il a poursuivi tranquillement le genre de réforme (notamment la nomination de Noirs dans les « lower » tribunaux fédéraux, (ceux des « districts ») qui contribuera à lutter contre la discrimination longtemps après son départ de la Maison-Blanche. Déterminé à ne pas être considéré comme le président de l’Amérique noire, il a soigneusement évité le sujet de la race ; quand il a été forcé de l’aborder, il s’est contenté de banalités sur la nécessité d’un « dialogue national ». Confronté à la crise grandissante pour l’Amérique noire – policiers qui tuent des civils non armés y compris des enfants, épidémie d’incarcérations, marginalisation économique et politique –, Obama n’a pas voulu, ou n’a pas pu, répondre avec le sens de l’urgence qui l’avait conduit autrefois à devenir un organisateur de la lutte pour le logement à Chicago. Si bien qu’en juillet 2014, Randall Kennedy, professeur de droit à Harvard, écrira que, pour beaucoup de Noirs américains, « le frisson est parti ».

Toutefois, durant les deux dernières années, Obama a assuré son rôle historique avec une éloquence admirable et un sens moral rigoureux, en partie – peut-on supposer – parce qu’il a assumé le fait que sa présidence n’apporterait pas la transformation annoncée, et qu’il pourrait au mieux être un rempart contre les fureurs racistes qu’elle a déchaînée, un contrepoids civilisé aux bruits de vengeance blanche qui secouent les États majoritairement républicains. Comme Régis Debray l’avait déjà noté, la révolution révolutionne la contre-révolution : c’est ce qui s’est produit avec la montée de la contre-révolution raciale en Amérique, un « nativisme » (courant opposé à toute nouvelle immigration) blanc, féroce et ignare, qui a trouvé son führer en la personne de Donald Trump.

Or beaucoup l’ont observé, ce mouvement qui a emporté le soutien d’une importante minorité de Blancs américains cible non seulement les Noirs mais aussi les immigrés, les Mexicains, les musulmans, et plus récemment d’obscurs banquiers, ce qui n’est pas sans rappeler les Protocoles des Sages de Sion (2). Mais le sentiment anti-noir reste la lave de ce cœur incendiaire. Ce qui conduit beaucoup de Blancs américains à croire au bobard qu'Obama ne serait pas né en Amérique – rumeur que Trump a favorisé plus que tout autre – ne vient pas seulement du fait que son père était kenyan. Cela tient à une idée, aussi ancienne que l’esclavage lui-même, que les Noirs resteront toujours des étrangers inassimilables, et que s’ils ne se tiennent pas à leur place, ni en tant qu’esclaves ni en tant que subalternes, ils feraient mieux de repartir d’où ils sont venus. Abraham Lincoln lui-même a flirté avec l’idée que une fois libérés les Noirs devraient se réinstaller en Afrique et dans les Caraïbes.

Bien sûr, non seulement Obama est bien un Américain, mais les Noirs américains ont des racines plus profondes dans ce pays que personne d’autre, hormis les Amérindiens : la Maison-Blanche elle-même a été construite par des esclaves, comme Michelle Obama l’a rappelé aux Américains, à la grande fureur des blogueurs de droite. La contribution des Noirs à la culture et à la civilisation américaines – de la musique à la nourriture, de l’athlétisme à l’humour, de la littérature à la langue, et à l’idée même de liberté – a été stupéfiante, mais cette réalité rencontre autant de résistance dans certains quartiers que l’immense contribution des Juifs à la culture allemande au début du siècle précédent.

Pour les adeptes de Trump, faire que l’Amérique « soit grande à nouveau » signifie qu’elle doit être blanche à nouveau. Au milieu de la crise financière, il est devenu de plus en plus difficile de faire reconnaître à des Blancs qui subissent les difficultés économiques ce qu’ils doivent aux Noirs parce que le reconnaître leur laisserait le sentiment d’être spirituellement démunis. « Ils ont fait de nous une race », écrit le journaliste noir Ta Nehisi Coates dans son essai Une colère noire : Lettre à mon fils, « mais nous avons fait de nous un peuple. » Or les Blancs ne sont pas un peuple, et depuis que leur nombre diminue et que leur vie ressemble de plus en plus à celle des Noirs, ils insistent d’autant plus obstinément sur leur privilège racial, d’où l’attrait pour Trump avec son appel sans fard au ressentiment.

Dans l’Amérique noire, la présidence d’Obama et la réaction brutale qu’elle a provoquée ont ravivé un esprit de résistance qu’on n’avait pas revu depuis l’époque du Black Power. À la fois en politique, avec la montée du mouvement militant Black Lives Matter, et dans le monde culturel avec l’émergence de figures comme Ta Nehisi Coates, la poétesse Claudia Rankine, le rappeur Kendrick Lamar et les cinéastes Ava Duvernay et Barry Jenkins. Cette renaissance est ancrée dans le sens de l’histoire, ce que le mouvement de Trump désavoue ostensiblement. Elle est aussi sensible dans l’interdépendance entre plusieurs groupes d’opprimés: de nombreux dirigeants des Black Lives Matter viennent de la communauté LGBT. Que cette culture de la protestation ait émergé durant l’ère Obama n’est pas un hasard, et la voir fleurir permet de savourer la douceur des triomphes d’Obama, aussi contrecarrés qu’ils aient été. Un seul autre président américain, Thomas Jefferson, avait une famille noire – et il possédait des esclaves… Ne sous-estimons donc pas la distance parcourue. Pourtant, Obama est aussi dans le meilleur sens du terme l’héritier de Jefferson : un intellectuel cosmopolite, un homme tourné vers l’introspection, qui a imposé sa maîtrise, son mastry, du verbe. Le langage, hélas, n’est pas le pouvoir, mais Barack Obama n’a pas manqué de baraka.



Tribune publiée dans Los Angeles Times, traduite en français par Marie-Laure Thêoduli.



(1) Le Met Breuer, nouvelle antenne du Metropolitan Museum of Art de New-York, ouverte au printemps 2016 est dédiée à l’art contemporain.

(2) Le Protocole des Sages de Sion est un faux rédigé en 1901 faisant état d’un projet de conquête du monde par les Juifs et les francs-maçons.

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TOUS LES COMMENTAIRES
31/10/2016 12:05 PAR EGALIDAD
Mon sentiment profond est qu'obama ne s'est pas préoccupé comme il aurait dû le faire de cette question du racisme. Il n'aurait pas pu aller au bout de ce problème, mais son inaction est évidente.

Comment voulez-vous qu'un obama révolutionne la vie des Noirs aux US et réduisent les injustices en pérennisant une civilisation de la violence par des guerres insensées, permanentes, où la cupidité se déchaîne....?

Son prix nobel de la paix, c'est le peuple américian qui aurait dû le recevoir pour avoir élu un "afro-américain".

Le prix nobel de la paix, il aurait dû le recevoir après avoir décidé que la civilisation américaine ne devait plus être synonime de barbarie.

Mais non, obama aura été récompensé à la place des autres, aura exacerbé les violences, encourageant LA violence en son pays même.

Les discours de trump vis-à-vis des musulmans n'est que l'expression de ce qu'obama et son clan considèrent tout bas : racisme, en tout cas mépris de cette civilisation qu'ils détruisent méthodiquement.

Les US se retrouvent désormais à haïr Noirs et musulmans.

Quand cette terre va-t-elle enfin se pencher sur son désir irrépressible de haine, de turies, le penser et l'abolir en elle.....?

Pourquoi vous entêtez-vous à prendre les gens pour des imbécils à refuser d'admettre que les élites démocrates sont tout aussi violentes, racistes que les trump ???

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