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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Au bord de l’implosion et de l’explosion. Une analyse comparative de la politique du rien en Haïti et aux États-Unis (1 de 3) - Par Leslie Péan

Publié par Leslie Péan sur 7 Novembre 2015, 20:57pm

Catégories : #L.PEAN chronique

Au bord de l’implosion  et de l’explosion.  Une analyse comparative de la politique du rien en Haïti et aux États-Unis (1 de 3) - Par Leslie Péan

7 novembre 2015,

 

La politique politicienne en Haïti s’apparente à la politique monétaire et financière aux États-Unis et sur le plan international. Avec les mêmes inégalités, les mêmes procédés machiavéliques, les mêmes dynamiques d’instabilité et de fuite en avant. D’un côté, en Haïti, c’est la réponse illusoire  par l’organisation des élections fictives du 25 octobre 2015 avec 915 675  mandataires dans les bureaux de vote, soit 60% des 1 538 393 votants, c’est-à-dire 26% de l’électorat estimé à 5,8 millions. Les trois-quarts des électeurs ont boudé les urnes. Les 13 725 mandats délivrés à chacun des 54 candidats ont fait l’objet d’un commerce interlope scandaleux. Crise de confiance ! On devait s’y attendre du fait même que la feuille de route pour l’organisation de ces élections ait été confiée à Pierre-Louis Opont. Ce dernier avait révélé la fausseté des résultats déclarés lors des élections de 2010 orchestrées sous sa direction.  Les fraudes massives du 25 octobre 2015 ont tout détraqué. Muller Julmiste et Gesner Jean-Geffrard, deux militants du parti Pitit Desalin,  ont été arrêtés au Cap-Haïtien. De plus, Maxo Gaspard, une étoile montante de ce parti, «  a été tué de balles à la tête, non loin du siège central du parti à Delmas 33 »[i] après la proclamation des résultats le 5 novembre. Enfin, Sandra Paulemon, candidat de Pitit Desalin, a été incarcérée. La réponse populaire contre le coup d’état électoral ne s’est pas fait attendre avec des manifestations des partis LAPEH, Pitit Desalin, Fanmi Lavalas et Renmen Ayiti. 

D’un autre côté, aux États-Unis d’Amérique et sur le plan international, c’est l’émission monétaire systématique et l’accroissement du capital fictif. Le fameux cercle vicieux de la perte de confiance tourne à rebours.  La dette des entreprises, des banques et des ménages ne fait qu’augmenter. La contagion de la déflation (baisse des prix) devient alarmante malgré la baisse des taux d’intérêt servant à injecter une dose l’inflation dans l’économie. Au fait, face à l’instabilité chronique générée par le système de pouvoir à l’honneur, de manière générale, c’est la marche vers la catastrophe, les yeux bandés. En Haïti comme sur le plan international, « lorsque tous dérivent ensemble, personne n'a conscience de dériver[ii]. »

Dans cet imbroglio, le système de valeurs du capitalisme animiste se débat. Comme l’explique Achille Mbembe, « Ce capitalisme cherche à effacer toute distinction entre le monde des humains et le monde des choses et des objets. […] Il encourage les individus à investir beaucoup d’émotion dans les objets, à donner vie à des choses qui apparaissent jusque-là inertes et à réduire les personnes humaines elles-mêmes à des objets désirables et susceptibles d’être consommés[iii]» En Haïti, ce capitalisme animiste assure le triomphe permanent de l’obscurantisme sur les Lumières par la coalition des forces de l’arbitraire et de l’irrationnel maintenant la société dans l’impasse. La situation politique a manifestement tous les signes d’une implosion en préparation. Dans cette optique, nous écrivions dans un article intitulé « L'impossible renouvellement par des élections frauduleuses »,  publié à Alterpresse le 29 mars 2015, « le manège déréglé des élections frauduleuses ne cesse de faire des ravages dans la société. Qui plonge à chaque occasion dans une danse folle et dans un néant dont elle a le plus grand mal à recoller les morceaux[iv]. » Le chaos des élections du 9 août 2015 et le scandale des fraudes massives des élections 25 octobre 2015 en témoignent.

La pression externe a atteint un tel niveau que John Kerry, secrétaire d’État américain, s’est senti obligé d’aller en personne dire ses quatre vérités au gouvernement Martelly. La présence de l’Ambassadeur américain en Haïti et la création d’un poste de Coordonateur spécial pour Haïti au Département d’État dirigé par Kenneth Merten en août 2015 ne suffisaient pas pour la partie de bras de fer avec les « bandits légaux ». Bwa a mare ! Le fait par la première puissance mondiale d’être obligée de s’acoquiner à des vendeurs de drogue, des kidnappeurs et des corrompus patentés est un indicateur des contradictions et intrigues qui accompagnent la domination et explique la convergence des vues et des objectifs avec les dirigeants haïtiens. Le suspens monte en puissance et on ne peut plus continuer éternellement à tourner autour du pot.  Cela fait quatre ans depuis que le bandit légal Martelly a confisqué tous les pouvoirs et refusé d’organiser des élections.

   

 

Quel scandale de plus de voir le gouvernement décider de rémunérer ainsi son personnel dirigeant dans un pays où depuis quarante (40) ans, soit entre 1971 et 2013, le Produit Intérieur Brut (PIB) per capita diminue d’une moyenne de 0,7% par an[vi]. Un pays où plus de la moitié de la population vit avec moins de deux dollars par jour et un quart vit dans la pauvreté extrême. Un pays qui a un coefficient de Gini de 0.6 et où les plus grandes inégalités de revenus du continent américain existent. Pour financer le pactole de sa priorité d’indemnité de séparation, le gouvernement du mendiant arrogant décide d’augmenter les impôts.

Les illusions du mendiant arrogant

 

Pour se donner l’illusion de combler le vide psychique de sa direction, dans un pays en faillite économique, le gouvernement haïtien décide, par arrêté en date du 23 septembre 2015, de se donner des avantages sociaux. En effet, cet arrêté accorde aux anciens ministres et secrétaires généraux de la Présidence, du Conseil des Ministres et de la Primature une indemnité de séparation de deux millions cinq cent mille gourdes (50 mille dollars US), une exonération douanière pour un véhicule, une prise en charge de deux agents de sécurité pour une période de six mois.  Quant aux anciens Secrétaires d’État, l’indemnité de séparation est fixée à deux millions de gourdes (40 mille dollars US) et les mêmes avantages leur sont consentis. De plus l’État accorde à tout ancien chef d’État et de Gouvernement un secrétariat, un service de sécurité rapprochée, et des moyens de transport jugés adéquats.

                  Comme le souligne le sénateur Steven Benoit, « ceci est un dernier vol que Michel Martelly tente d’orchestrer avant son départ[v]. » Quel scandale de plus de voir le gouvernement décider de rémunérer ainsi son personnel dirigeant dans un pays où depuis quarante (40) ans, soit entre 1971 et 2013, le Produit Intérieur Brut (PIB) per capita diminue d’une moyenne de 0,7%  par an[vi]. Un pays où plus de la moitié de la population vit avec moins de deux dollars par jour et un quart vit dans la pauvreté extrême. Un pays qui a un coefficient de Gini de 0.6 et où les plus grandes inégalités de revenus du continent américain existent. Pour financer le pactole de sa priorité d’indemnité de séparation,  le gouvernement du mendiant arrogant décide d’augmenter les impôts. Étant convaincu que le peuple haïtien ne pourra jamais sortir de sa condition de zombi pour monter à l’assaut de la Bastille, comme le peuple français l’avait fait le 14 juillet 1789,  le gouvernement Martelly/Paul a taillé une politique fiscale « à la tête du client ».

Ne pouvant satisfaire son appétit en purgeant les hommes d’affaires, il s’en prend aux classes moyennes et aux petites gens. Ainsi, dans le budget de l’exercice fiscal 2015-2016, les droits de passeport augmentent de 1 600 à 3 000 gourdes et ceux du permis de conduire de 1 000 à 3 000 gourdes. Le débordement continue avec un ajout de 1 500 gourdes aux impôts locatifs et de 1 000 gourdes pour la matricule fiscale. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? L’indécence est devenue prestige pour les Tèt Kale. Ne craignant pas de heurts, sans le moindre débat (le parlement n’existe pas), une taxe de 1 250 gourdes est appliquée sur la vente de chaque tête de bétail.  Dans le cas de la carte d’immatriculation fiscale, le grain de sable est vraiment gros dans un processus qui n’est pas du tout huilé. En effet, le paiement du droit de cinquante (50) gourdes[vii] pour l’émission de la carte d’immatriculation fiscale tel que stipulé dans l’Article 11 du décret du 29 septembre 2005 a augmenté pour atteindre mille (1 000) gourdes en 2015, soit un accroissement de 1 900%.

 

Les égarements de la politique monétaire et financière

 

Suite au krach boursier de 2008 et au triomphe de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis, ce dernier a essayé de limiter l’influence de l’argent dans la politique américaine avec la loi Dodd-Frank du 21 juillet 2010. Qui mettait en œuvre une batterie de réformes au niveau des institutions, des banques et des marchés afin de protéger les consommateurs des produits financiers susceptibles de conduire le système économique à la catastrophe. On est revenu à une forme de régulation du marché par l’État car, d’une part,  le marché a démontré qu’il ne peut pas se réguler lui-même et, d’autre part, c’est grâce à l’État que les déficiences du marché  ont pu être corrigées pour éviter une débâcle générale. Certains diront « trop peu, trop tard » ou encore « trop gros pour faire faillite » pour référer aux grandes banques qui ont été sauvées avec l’argent public et la création monétaire.

                  Cette façon de voir laisse de côté l’essentiel, c’est-à-dire la connivence existante entre l’État et le marché, laquelle bloque toute audace vraiment réformatrice. Sauf quand, après la grande crise de 1929, Franklin Delano Roosevelt (FDR) fut obligé de prendre le taureau par les cornes et d’introduire des réformes fondamentales avec le New Deal pour empêcher l’effondrement total du capitalisme. FDR a pris des mesures choc qui ont eu des effets spectaculaires. Dont l’institution de la sécurité sociale, la création massive d’emplois, l’augmentation du salaire minimum, et surtout la nomination de l’avocat Ferdinand Pecora  pour diriger les travaux de la Commission d’Investigation portant son nom qui a auditionné pendant des heures plusieurs banquiers responsables de la Grande Dépression de 1929. Suite aux découvertes de la Commission Pecora exposant les bandits de la finance transformant des crédits à risques en titres obligataires, FDR devait séparer les banques commerciales des banques d’investissement à travers plusieurs mesures législatives telles que la loi Glass–Steagall de 1933, et réguler la finance par la loi sur les valeurs mobilières de 1933 (the Securities Act of 1933) et la loi sur les échanges de valeurs mobilières de 1934 (the Securities Exchange Act of 1934). 

Les ferments des crédits hypothécaires (subprimes) et leur titrisation (vente des créances) qui ont causé la crise financière de 2008 (précipitée par la faillite de la Banque Lehman Brothers) sont plus que jamais présents en 2015. Le PIB mondial progresse moins vite que la dette mondiale estimée à 225 000 milliards de dollars( 225 trillions en anglais). Au cours des 20 dernières années, alors que le PIB mondial a augmenté de 5,3%, la dette mondiale a augmenté de 9%. Aux Etats-Unis, le ratio dette fédérale/PIB en 2007 qui était de 64% est aujourd’hui en 2015 de 110%. La dette fédérale qui était de 10 000 milliards de dollars (10 trillions en anglais) en 2008 est passée à 18 000 milliards de dollars (18 trillions en anglais) en 2015. Le niveau des dettes des autres secteurs ne cesse d’augmenter.

De 2007 à 2014, l’endettement des ménages a augmenté de 33 000 milliards (33 trillions) à 40 000 milliards de dollars (40 trillions), celui des entreprises privées de 38 000 milliards (38 trillions) à 56 000 milliards de dollars (56 trillions), celui du gouvernement de 33 000 milliards (33 trillions) à 58 000 milliards de dollars (58 trillions) et enfin celui du secteur financier de 37 000 milliards (37 trillions) à 45 000 milliards de dollars (45 trillions)[viii]. En d’autres termes, la dette totale des Etats-Unis est aujourd’hui de 350% de son PIB. Comme l’explique l’économiste Pascal Salin, « le grand problème économique de notre époque provient du fait que les autorités monétaires ont le pouvoir de créer du crédit à partir de rien (simplement en créant de la monnaie) de sorte qu’une grande part des investissements à travers le monde est financée par des illusions. Et les illusions ne peuvent pas durer éternellement : elles se terminent en crise[ix]. »

 

Les sueurs froides

 

La finance spéculative est au cœur de la dérive qui menace d’engloutir  la planète. Comme le signale la Banque des Règlements Internationaux (BRI), la banque centrale des banques centrales : « les personnes qui auraient pu devenir des scientifiques, qui, dans un autre âge rêvaient de guérir le cancer ou de voler vers Mars, aujourd'hui rêvent de devenir les gestionnaires de fonds spéculatifs (hedge funds)[x]. » L’appât du gain remplace la soif de connaissance et les considérations morales. La motivation de l’entrepreneur se réduit à l’argent qu’il gagne !

La revue The Economist constate aussi que la finance excessive[xi] est devenue un fardeau. Régnant en maitre sur le paysage,  le banquier pousse des ailes. Il ressort de sa manche l’argent. « D’où vient l’argent ? De rien, du vide. Du pouvoir créateur, le banquier[xii]. » Face à la crise créée par les contradictions qui concentrent les richesses au sein d’une minorité laissant la majorité dans la misère, la solution préconisée est de créer l’argent. Milton Friedman, Prix Nobel d’économie, va jusqu'à dire sur un ton humoristique qu’il faudrait larguer l’argent même par hélicoptère pour combattre la déflation (baisse des prix). Ben Bernanke, Gouverneur de la Federal Reserve, de 2006 à 2014, devait écoper du nom « Helicoptère Ben » pour avoir préconisé ouvertement cette politique[xiii].

Tout comme sur le plan international on crée la monnaie à partir de rien, en Haïti, on crée du pouvoir à partir de rien. Mieux à partir d’un rien. La valeur n’existe plus. Ayant vu que la communauté internationale, consciente de ses frasques, a malgré tout légitimé  la fraude des élections de 2010, Martelly s’est dit qu’il a les coudées franches pour devenir un entrepreneur politique et s’installer au pouvoir en « bandit légal ». Pour l’éternité. Les élections frauduleuses du 25 octobre 2015 constituent le premier test de ce tacticien sans stratégie pour s’accrocher  au pouvoir par tous les artifices. Le moins qu’on puisse dire, rattrapé par les faits des manifestants dans les rues, il doit avoir aujourd’hui des sueurs froides. (à suivre)

 


[i] « Haïti-Elections : Des candidats à la présidence contestent les résultats préliminaires de la présidentielle et appellent à la mobilisation », AlterPresse, 6 novembre 2015.

[ii] François Flahault, « Lorsque tous dérivent ensemble, personne n'a conscience de dériver. », L'Homme et la société, n° 181, 3/2011.

[iii] Achille Mbembe, « Gare au capitalisme animiste », Le Monde, 13 septembre 2013.

[iv] Leslie Péan, « L'impossible renouvellement par des élections frauduleuses »,  AlterPresse, 29 mars 2015.

[v] « Haïti-Economie : Steven Benoit dénonce "un dernier mauvais coup" de Michel Martelly », HPN, 28 octobre 2015.

[vi] Raju Jan Singh and Mary-Barrton-Dock, Haïti : Toward a new narrative, World Bank, Washington, D.C., September 2015, p. 9.

[vii] Décret de Boniface Alexandre, 29 septembre 2005, p. 4.

[viii] Richard Dobbs, Susan Lund, Jonathan Woetzel, and Mina Mutafchieva, « Debt and (not much) deleveraging », McKinsey Global Institute, February 2015.

[ix] Pascal Salin, La crise financière : causes, conséquences, solutions, Genève, 2009, p. 10

[x] Stephen G Cecchetti and Enisse Kharroubi, “Reassessing the impact of finance on growth”, Bank of International Settlements (BIS), Working Papers No 381, July 2012, p. 1-2.

[xi] Buttonwood, « Warning: too much finance is bad for the economy », The Economist, Feb 18th 2015.

[xii] Bernard Maris, Antimanuel d’économie, Volume 1, Éditions Bréal, 2003, p. 218.

[xiii] « Deflation: Making Sure "It" Doesn't Happen Here », Remarks by Governor Ben S. Bernanke, Before the National Economists Club, Washington, D.C., November 21, 2002.  

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