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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Construire l’avenir des relations entre la République Dominicaine et Haïti (3 de 4)

Publié par siel sur 16 Octobre 2014, 15:17pm

Catégories : #L.PEAN chronique

par Leslie Péan, économiste

Universidad Autónoma de Santo Domingo (UASD), République Dominicaine, 27 septembre 2014

Suite à l’embargo de 1991-1994 et au tremblement de terre de 2010, Haïti est devenue le deuxième débouché pour les exportations de la République Dominicaine, spécialement celles des produits agricoles. En effet, le marché haïtien constitue un débouché pour nombre de produits agricoles et non agricoles dominicains qui vont parfois jusqu’à 100% des exportations dominicaines de ces filières. C'est le cas avec les produits suivants : le riz brisé (100%), les œufs (99,9%), le poulet (99,8%), la glace (99,8%), les carottes (99,7%), les haricots (99,0%), le son (99,0%), le salami dont a dit tant de mal (98,0%), le vin rouge (98,0%), le mirliton (97,0%), la betterave (96,0%), les oignons et la ciboulette (96,0%), le malt (88,0%), les biscuits (74,0%), les citrons aigres (59,0%), les pâtes (54,0%), les noix de coco sèches (36,0% ), les tiges d'acier (30,0%), les autres 146 produits (100%)[i].

Ces constats ont été consignés à Barahona en République Dominicaine du 16 au 18 août 2007 au cours d’un rencontre de plus de 80 représentants d’organisations paysannes haïtiennes et dominicaines. Par la suite, ils ont fait l’objet de discussions tenues à San Francisco de Macoris du 21 au 23 septembre 2007 sur les alternatives concrètes d’intégration envisagées dans la perspective d’une souveraineté alimentaire de l’ile. Du côté haïtien, on pouvait compter les représentants des organisations MPP, TET KOLE, MPNKP, KROS, PLANOPLA, RENASSA, etc. et du côté dominicain des représentants de CONAMUCA, ACALEN, CONFENACA, FEDECARES, FEPROBOSUR, RETOÑO, FECAINMAT, etc. Cela fait penser à l’union des luttes des Gavilleros dominicains et des Cacos haïtiens de 1915 à 1926 contre l’occupant américain.

Béquilles signale que la collaboration et la solidarité entre Haïtiens et Dominicains ont connu des points culminants parmi lesquels l’apport de compatriotes haïtiens tels que le poète Jacques Viau et d’autres à la lutte des patriotes dominicains contre l’invasion américaine en avril 1965. Jacques est mort à 23 ans en défendant le droit à l’auto-détermination du peuple dominicain. Né en Haïti, Jacques a grandi à Santo Domingo avec son père Alfred Viau qui était un exilé de la dictature de Duvalier. Une autre étape de cette solidarité est le traitement correct donné aux Haïtiens et aux Dominicains d’origine haïtienne lors du passage du Dr. Hugo Tolentino à la Secrétairerie d’État aux Affaires Etrangères en 2001.

La promotion de l’industrie de sous-traitance en Haïti s’est faite au détriment de l’agriculture. Le déficit commercial du coté haïtien ne cesse de s’aggraver, dépassant le cap du milliard de dollars chaque année depuis 2011. Comme l’a montré l’économiste Paul Latortue[ii], les importations haïtiennes de la République Dominicaine se divisent en trois grandes catégories : 30% sont des matières premières pour les industries textiles d’assemblage, 30% sont des importations de produits alimentaires et 40% sont des produits manufacturés (ciment, fer). Les produits manufacturés dans les zones franches, comme le Parc Industriel de Caracol (PIC) ou comme celle de la Compagnie de Développement Industriel (CODEVI) près de Ouanaminthe sont réexportés comme des produits dominicains. Les organisations populaires haïtiennes telles que la Plate-Forme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) et le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR)[iii] ont protesté le 8 avril 2002 contre la zone franche CODEVI. Par la suite, le Comité de défense de Pitobert, zone à haute potentialité agricole[iv], où l’usine CODEVI a été installée, a produit un manifeste dans lequel on lit :

« Face à l’irresponsabilité des dirigeants haïtiens dans la conduite du dossier sur la zone franche, nous, du Comité de Défense de Pitobert, déclarons que :

La zone franche ne peut s’établir dans la région frontalière. Aucune zone franche ne doit s’établir sur des terres fertiles disponibles encore en Haïti. Le devoir du gouvernement haïtien consiste à irriguer la plaine de Maribahoux et à encadrer les cultivateurs haïtiens pour augmenter et améliorer la production nationale[v]. »

Pourtant, l’existence d’autres espaces tels que les anciennes installations locaux de la compagnie de pite de la Plantation Dauphin dans le Nord-Est d’Haïti paraissaient toutes désignées pour accueillir les nouvelles usines. Pour des raisons difficiles à comprendre, le pouvoir leur a préféré les terres agricoles de Maribahoux. Béquilles procure un effet de profondeur à toutes ces questions d’actualité.

Les champions de l’improvisation mettent la charrue avant les bœufs

Retournons au Parc industriel de Caracol. Ce dernier s’est développé avec les mêmes caractéristiques que CODEVI. 250 hectares de terres agricoles à Chabert ont été appropriées et remplacées par de l’asphalte, du béton et des immeubles pour loger les usines d’assemblage dont celle de la multinationale coréenne SAE-A Trading qui produit des vêtements pour de nombreuses entreprises nord-américaines, comme Walmart, Target ou Gap. Les paysans ont été dédommagés pour leurs terres et leurs récoltes. Toutefois, la compensation est plutôt symbolique et laisse les paysans sans ressources renouvelables et sans activités. Selon les enquêteurs du groupe Ayiti Kale Je (AKJ), « Verly Davilmar va recevoir 35.000 gourdes (838 USD) pour sa récolte perdue. Autrefois, il travaillait un demi-hectare de terre où il cultivait de l’igname, du manioc et de l’épinard. Aujourd’hui non. Point de terre. Il reste chez lui. Sa famille compte 10 personnes. "Ce qu’ils ont donné passe comme un éclair", confie-t-il à AKJ. "L’argent n’entre pas. Tu n’as pas de terre, tu es obligé de rester sans rien[vi]. " »

Dans le projet initial, il était question de construire un port à Fort-Liberté. Mais après la destruction de l’agriculture paysanne de la zone, la faisabilité de la construction du port à Fort-Liberté est remise sur le tapis. Selon une étude du Government Accountability Office (GAO) publiée en juin 2013, un tel port ne semble pas possible avant dix ans[vii]. Finalement, suite aux critiques fondées sur l’impact environnemental négatif d’un tel projet, la construction du port à Fort Liberté a été abandonnée[viii]. La réhabilitation du port du Cap-Haitien flotte dans l’air sans savoir vraiment le coût et les possibilités réelles de sa réalisation. En attendant, ce sont plutôt les ports dominicains de Manzanillo et de Puerto Plata qui sont utilisés pour l’exportation de la production industrielle des usines d’assemblage. Les champions de l’improvisation ont, une fois de plus, mis la charrue avant les bœufs et le résultat est le gâchis pour les populations et la perte de revenus pour l’État haïtien. Autant de contentieux potentiels qui méritent un dialogue permanent entre les autorités des deux pays pour trouver une harmonisation et éviter que la part du lion ne revienne pas toujours au même partenaire, la République Dominicaine.

L’appel à l’âge de raison

L’extraversion de l‘économie haïtienne continue d’un gouvernement à l’autre comme si les dirigeants n’avaient que les capacités intellectuelles d’un enfant de 4 ans. Il n’y a aucun débat économique sérieux. Les marges de manœuvre de l’économie haïtienne déjà minces sont devenues minuscules. En 1960, l’économie haïtienne avait pratiquement le même PIB réel per capita de 800 dollars US (en dollars constants) que la République Dominicaine. En 2005, soit 45 ans plus tard, le PIB réel per capita de la République Dominicaine a triplé à 2 500 dollars US, tandis que celui d’Haïti a diminué de moitié pour tomber à 430 dollars US[ix]. Compte tenu de la parité des pouvoirs d’achat, c’est-à-dire de la quantité de biens et services que les citoyens des deux pays peuvent acheter avec leurs revenus, le PIB per capita dominicain était sept fois plus élevé en 2013 que celui d’Haïti, soit 11 696 dollars US pour la République Dominicaine et 1 703 dollars US pour Haïti.

Pendant combien de temps les transferts financiers de la diaspora haïtienne pourront-ils continuer à financer le déficit commercial annuel de plus d’un milliard de dollars entre les deux pays ? Ce déficit commercial est insoutenable. Pour que les relations haïtiano-dominicaines se développent et atteignent la maturité, il faut des règles du jeu basées sur le principe des conditions équitables (level playing field). Sinon, les frustrations vont s’accumuler, les attentes seront déçues conduisant tout droit à l’explosion sociale. La coopération entre les deux pays peut et doit s’orienter de telle manière que ce ne soient pas 80 hectares de bonnes terres agricoles qui logent les usines de sous-traitance, comme on l’a vu en 2002, à un moment où le discours officiel parlait de « mariage haïtiano-dominicain ». Cet exemple est significatif des difficultés, aventures et péripéties qui peuvent survenir dans les relations entre la République Dominicaine et Haïti, si une approche tenant compte des intérêts des deux parties n’est pas adoptée. (à suivre)

[i] PAPDA, Déclaration des Mouvements Paysans haïtiens et dominicains, Republica Dominicana y Haití: construyendo la soberanía alimentaria, Rencontre binationale, Barahona, Republica Dominicana, 16 -18 Août 2007.

[ii] Dr. Paul Latortue, Crecimiento y comercio desbalanceado en La Espanola, 1960-2013, Facultad de Administración de Empresas, Universidad de Puerto Rico (UPR) Rio Piedras (RP), 13 de marzo de 2014.

[iii] Ronald Colbert, « Pourquoi céder une partie du territoire haïtien à des intérêts économiques internationaux ? », Alterpresse, 12 avril 2002.

[iv] GRIDE, Plan d’Action Départemental pour l’Environnement et le Développement Durable du Nord-Est, 2004, p. 15.

[v] Comité de Défense de Pitobert, « La plaine de Maribahoux ne peut accueillir une zone franche, la plaine de Maribahoux doit être irriguée », Alterpresse, 19 janvier 2003.

[vi] Ayiti Kale Je (AKJ), « Le Parc Industriel de Caracol : À qui profitera-t-il ? », Alterpresse, 11 mars 2013.

[vii] United States Government Accountability Office (GAO), Haiti Reconstruction - USAID Infrastructure Projects Have Had Mixed Results and Face Sustainability Challenges, June 2013, p. 18.

[viii] Jacqueline Charles, « Northern Haiti port to be expanded after U.S. fails to get investors for new facility », Miami Herald, April 10 2014.

[ix] Laura Jaramillo and Cemile Sancak, Growth in the Dominican Republic and Haiti: Why has the Grass Been Greener on One Side of Hispaniola? IMF Working Paper WP/O7/63, International Monetary Fund, March 2007, p. 4.

Drapeaux haïtien (gauche) et dominicain.

Drapeaux haïtien (gauche) et dominicain.

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