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Le Monde du Sud// Elsie news

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Haïti, les Caraïbes, l'Amérique Latine et le reste du monde. Histoire, politique, agriculture, arts et lettres.


Se souvenir de Michel-Rolph Trouillot. Par Hugues Saint-Fort

Publié par siel sur 25 Mai 2014, 12:26pm

Catégories : #H.SAINT-FORT chronique

Michel-Rolph Trouillot Photo: Courtoisie University of Chicagoi

Michel-Rolph Trouillot Photo: Courtoisie University of Chicagoi

Se souvenir de Michel-Rolph Trouillot. Par Hugues Saint-Fort

Au fil des années, la revue universitaire arbitrée Journal of Haitian Studies (JOHS) s'est imposée comme l'une des références indispensables pour comprendre non seulement la longue et profonde complexité de l'histoire d'Haïti et de son peuple, mais aussi les interconnexions entre la culture haïtienne et les cultures caribéennes. L'importance de JOHS dans le paysage intellectuel de la diaspora haïtienne en Amérique du Nord est devenue maintenant sans égale. On ne peut donc que se réjouir du fait que, pour fêter son vingt-cinquième anniversaire, cette revue, dans sa publication de Fall 2013, volume 19, number 2, ait décidé de consacrer un numéro spécial à Michel-Rolph Trouillot, le célèbre anthropologue-historien haïtien disparu en juillet 2012 à Chicago où il enseignait à l'université de cette ville.

Michel-Rolph Trouillot est incontestablement l'intellectuel public haïtien et professeur d'université le plus célèbre aux États-Unis. Son livre Silencing the Past: Power and the Production of History (Beacon Press 1995), pour reprendre l'expression consacrée, est devenu un livre culte, et demeure le plus fameux texte universitaire de non fiction dans le domaine des sciences humaines jamais écrit par un professeur haïtien enseignant aux États-Unis. En fait, ce livre est tellement connu que les étudiants américains tendent à associer le nom de M-R Trouillot à ce seul livre. Dès qu'on cite le nom de M-R Trouillot, ils ont tendance à répliquer : « Silencing the Past ». En ce sens, ce numéro spécial de JOHS a le mérite de revenir en long et en large non seulement sur l'œuvre universitaire (presque) complète de Trouillot, mais aussi sur sa longue production intellectuelle et musicale. Peu de personnes savent que Rolph Trouillot a été aussi un excellent auteur-compositeur : c'est lui qui a écrit entre autres le texte et composé la musique de « Alyenn kat » (la fameuse carte verte américaine qui donne le droit de séjourner et de travailler aux États-Unis). Quant à sa production intellectuelle, JOHS rappelle les six livres écrits par Rolph Trouillot, c'est-à-dire Ti difé boulé sou istoua Ayiti (écrit en orthographe Pressoir) en 1977, Peasants and Capital : Dominica in the World Economy, 1988 ; Les Racines historiques de l'État duvaliérien, 1986 ; Haïti : State against Nation : The Origins and Legacy of Duvalierism, 1990 ; Silencing the Past : Power and the Production of History, 1995 ; Global Transformations : Anthropology and the Modern World, 2003.

En plus de ces six livres publiés par Rolph Trouillot, JOHS cite une vingtaine d'essais de Trouillot parus dans des volumes édités, de nombreuses études publiées dans des revues universitaires, une dizaine d'articles parus dans des revues populaires, des comptes rendus d'ouvrages, des livres écrits en collaboration avec d'autres universitaires, et plus de soixante-dix titres de manuscrits non encore publiés.

J'avais pendant longtemps entendu parler de Ti dife boule sou istwa Ayiti, le premier texte de non fiction dressant une explication historique de la révolution haïtienne et rédigé entièrement en kreyòl, mais je n'en avais lu que des extraits avant 2012, quand il avait été réédité par les soins des Edisyon KIK, Inivèsite Karayib dans l'orthographe standard et officielle du créole haïtien. (Lire le bref compte rendu que j'en ai fait dans mon article habituel de fin d'année Mes coups de cœur en 2012.) En fait, le premier texte du défunt professeur que j'aie lu est : The Odd and the Ordinary : Haiti, the Caribbean and the World, paru dans la revue Cimarron en 1990. J'ai gardé ce texte en mémoire dans lequel Rolph Trouillot développe une analyse critique incisive du concept de l'exceptionnalisme haïtien, pays décrit comme une nation « exceptionnellement tragique, remarquablement résiliente, singulièrement radicale » et concept si cher à nos nationalistes exaltés. Puis, ce fut la découverte du superbe Haiti : State against Nation. The Origins and Legacy of Duvalierism (1990) qui restera pour moi le livre le plus complet et le plus lucide pour comprendre le phénomène du duvaliérisme dans l'histoire contemporaine d'Haiti. Aujourd'hui encore, à chaque fois qu'il s'agit pour moi d'écrire sur les processus politiques et sociaux qui se déroulent en Haïti, je retourne inévitablement à ce livre.

La richesse et la qualité de ce numéro spécial de JOHS ne devraient laisser personne indifférent. En plus des comptes rendus de livres placés à la fin, le cœur de la revue est divisé en quatre grandes parties regroupant d'excellents articles : après l'introduction assurée par Dr. Nadève Ménard, nièce de Michel-Rolph Trouillot et professeure à l'université d'État d'Haïti, on trouve : Impact on the Field and Academic Legacies ; puis, Unsilencing the Past –and the Present ; puis Rethinking « Culture » with Trouillot, et finalement Beyond the Academy : Artistic and Political Encounters.

L'un des grands mérites du travail de coordination de Nadève Ménard assistée par Patrick Bellegarde-Smith dans la mise en œuvre de ce numéro spécial de JOHS a été d'avoir observé un nécessaire équilibre dans la répartition des textes soumis par les différents contributeurs. En ce sens, il y a une balance bien observée entre les contributeurs « haïtiens » et « non haïtiens » Mais, l'une des grandes joies de ce numéro spécial de JOHS est d'avoir mis en lumière la richesse émergente de la pensée théorique de Michel-Rolph Trouillot en même temps que les qualités humaines de ce grand penseur.

Dans quelle société, l'américaine ou l'haïtienne, M-R Trouillot a-t-il été le plus connu, le plus célébré ? On peut sans hésiter déclarer que c'est dans la société américaine, dans la mesure où c'est là qu'il a effectué toutes ses études universitaires, où il a enseigné en tant que professeur d'université et où il a publié la plus grande partie de ses recherches. Ses productions rédigées en français et en kreyòl sont assez limitées en nombre, ce qui n'enlève rien de la profondeur et de la pertinence des questions que ces publications posent (cf. Ti dife boule sou istwa Ayiti (1977) ; Les Racines historiques de l'État duvaliérien (1986)...

Je recommande vivement ce numéro spécial de Journal of Haitian Studies, Fall 2013, Volume 19, Number 2. Pour se le procurer, rien de plus facile : il suffit de taper le titre de la revue dans Google et vous trouverez toutes les informations. Bonne lecture !

Hugues Saint-Fort,
NY mai 2014

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